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BOSTON - Comment réagir au fait que des gens se prennent d’affection pour des machines, même s’ils savent que ce sont des machines? Que dire des sentiments qui nous habitent lorsque le robot donne l’illusion d’avoir des émotions? Et à ce rythme, faut-il s’inquiéter de ce que sera notre relation avec les robots dans 20 ans?

Parce qu’il y a 20 ans, la sociologue Sherry Turkle posait ces mêmes questions et constatait que déjà, en dépit du caractère «primitif» de la technologie d’alors, certaines personnes se laissaient tromper. Dans son ouvrage Life on the Screen (1995), elle citait des psychologues qui, non sans effarement, découvraient que beaucoup de leurs patients trouvaient plus facile de parler à un ordinateur qu’à un être humain.

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Deux décennies plus tard, celle qui enseigne au Massachusetts Institute of Technology a ramassé une longue série d’anecdotes dont une poignée ont été servies aux quelque 300 personnes venues l’écouter vendredi soir, dans le cadre du congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS).

Des anecdotes qui mériteraient d’être creusées davantage: parce que les réflexions de Sherry Turkle révèlent l’existence d’une solitude extrêmement profonde chez nombre de nos contemporains, si même des machines sans vie et sans émotions suffisent à combler un vide.

Par exemple, ces personnes âgées qui se prennent d’affection pour un robot en peluche qui ne fait pourtant que prononcer quelques mots et ronronner. Ces jeunes enfants pour qui une poupée de chiffon n’est pas un être vivant —alors qu’avec la créature virtuelle qu’est le tamagotchi, ils hésitent. Le tamagotchi demande de l’affection, il nécessite des «soins», sans quoi il meurt: donc, il est vivant, n’est-ce pas?

«Le fait d’en prendre soin nous amène à penser que le robot se soucie lui aussi de nous, explique Turkle. Les choses deviennent «presque vivantes» pour les enfants dès qu’elles deviennent socialisables.»

Et on n’est qu’au début. Le robot Kismet (sur la photo) simule des émotions, mais même ceux qui se sont surpris à lui parler comme à un enfant, ne doutent pas qu’il s’agit d’une machine. Qu’en sera-t-il lorsque ses successeurs auront un visage presque humain? Ou lorsque leurs algorithmes seront encore plus poussés que ceux qui animent les dialogues «intelligents» de l’application SIRI qui hante les derniers iPhone? Si des gens se laissent prendre aujourd’hui, qu’en sera-t-il dans 20 ans?

Parmi les propos rapportés par Sherry Turkle, cette étudiante universitaire: «j’échangerais mon petit ami pour un robot, s’il pouvait se montrer attentionné».

Inquiétant? Intrigant? Si ces observations sont davantage que des anecdotes, ce n’est pas rien, conclut la sociologue du virtuel: «nous pensons que nous construisons des robots. Mais nous sommes en train de reconstruire les gens.»

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