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Les gènes peuvent-ils être brevetés? Un débat de deux décennies est peut-être sur le point d’être tranché par la Cour suprême des États-Unis —avec des répercussions bien au-delà des frontières du pays de l’Oncle Sam.

En mai 2009, deux groupes de défense des droits du citoyen, l’Association américaine des libertés civiles (ACLU) et la Fondation pour des brevets publics, déposaient une poursuite devant un tribunal de New York. L’objet: contester des brevets sur deux gènes augmentant le risque de cancer du sein, BRCA1 et BRCA2. Deux gènes connus depuis.... 1990.

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Face à eux, la compagnie américaine Myriad Genetics, de l’Utah, qui avait obtenu il y a plus de 15 ans ces brevets, et la Fondation pour la recherche de l’Université de l’Utah, qui les détient aujourd’hui. Le fait de détenir un brevet sur un gène permet de recevoir des redevances chaque fois qu’une autre compagnie, ou un hôpital, ou une université, veut faire des recherches visant à dépister ces gènes —et ça donne même le droit de refuser à une institution de faire certaines recherches.

Est également poursuivi, le Bureau des brevets (United States Patent and Trademark Office) puisque la question ne concerne pas juste le cancer du sein: peut-on oui ou non déposer un brevet sur un gène?

La question n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air. D’un point de vue légal, un gène est-il un simple composant de la nature, comme une goutte d’eau dans un lac, ou s’agit-il d’une «substance biologique» dont le premier à en avoir découvert l’utilité peut réclamer des redevances?

Non seulement la loi n’avait jamais prévu ce coup-là, ce qui a permis à des milliers de demandes de brevets d’être déposées, depuis les années 1980, sur des gènes humains, animaux et végétaux. Mais la médecine ne l’avait pas vu venir non plus: les généticiens, pathologistes et oncologues représentés par l’ACLU allèguent que le gène sur le BRCA1 constitue un frein à la recherche sur des traitements médicaux contre le cancer. En plus d’être un frein aux femmes qui voudraient par elles-mêmes se payer un diagnostic, et qui n’en ont pas les moyens. C’est ce que résumait le mois dernier l’historien du droit Daniel J. Kevles:

La compagnie a empêché plusieurs chercheurs biomédicaux d’effectuer des essais cliniques sur l’ADN du BRCA, sauf avec de sévères restrictions. Elle pourrait, si elle le voulait, empêcher les scientifiques d’explorer la portée de mutations inconnues que révéleraient des tests. Myriad garde également pour elle le droit d’incorporer dans les tests diagnostics les découvertes de nouvelles altérations des gènes BRCA, même celles effectuées par d’autres. Elle a ainsi retardé le développement des tests les plus complets possible pour les femmes à risque.

À l’époque, l’industrie des biotechnologies se sentait pourtant dans ses droits: l’identification des deux gènes liés au cancer du sein avait donné lieu à une course internationale de cinq ans, entre 1990 et 1995, remportée par le généticien Mark Skolnick, de l’Université de l’Utah, cofondateur de Myriad Genetics. Son équipe avait séquencé les deux gènes, établi les différences entre eux et un gène normal, et du coup déposé une demande de brevet sur chacun des deux gènes —ainsi que sur les tests diagnostics permettant de les détecter. Les brevets avaient été accordés en 1997 et 1998.

Et le véritable enjeu financier est là: les redevances que rapportent les tests diagnostics. L’enjeu légal aussi: l’industrie des biotechnologies peut alléguer que le test diagnostic n’est pas un «produit de la nature» mais une «nouveauté» ou une «invention» —soit exactement ce qu’est censé couvrir un brevet.

Historiquement, s’est aussi invitée dans le débat la question des gènes modifiés, ou des organismes génétiquement modifiés: c’est un débat distinct de celui dont il est question ici. Il y a plus d’une décennie, certains tribunaux, dans plus d’un pays, ont confirmé la validité de certains brevets tandis que d’autres demeurent contestés.

En 2010, le juge de la cour de New York avait tranché en faveur des plaignants, plutôt que de Myriad Genetics. En juin 2011, la Cour d’appel, dans un jugement divisé, renversait en partie cette décision. La cause est revenue devant cette Cour en 2012, et a produit un autre jugement divisé.

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