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«Ils sont si différents des autres formes de vie qu’ils pourraient tout aussi bien venir d’une autre planète.» C’est en ces termes que le New Scientist commençait son article. Mais ils sont bel et bien terrestres, et annoncent l’écriture d’un chapitre inédit du grand livre de la vie.

Les amateurs de vies exotiques bourdonnent autour du mot Pandoravirus depuis la semaine dernière: appelé «Pandora», parce qu’il ouvre une boîte de Pandore. Un virus dont seulement 7% des gènes collent à ce qu’on trouve dans les bases de données, et qui est deux fois plus gros que les plus gros des virus connus. En fait, il est même plus gros que plusieurs bactéries, ce qui ne semble pas normal.

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Les deux exemples de Pandoravirus identifiés par une équipe française, l’un au Chili, l’autre en Australie, rassemblent respectivement 1,9 million et 2,5 millions de paires de bases —ce qui, pour un virus, est énorme; même pour une bactérie, ce serait beaucoup. Un virus, traditionnellement, se débrouille avec moins de 10 gènes: les deux Pandoravirus en ont respectivement 1502 et 2556. C’est ce qui fait dire à plusieurs microbiologistes qu’on n’est plus devant un virus, mais qu’on n’est pas non plus devant une bactérie.

Et il n’est pas le premier de sa sorte. D’abord, il y avait eu Mimivirus en 2003, puis Megavirus en 2011 —jusqu’à la semaine dernière, le détenteur d’un record pour sa taille. À présent, Pandoravirus. Derrière ces noms en apparence enfantins se cache en réalité l’équivalent de la découverte d’un nouveau continent pour la biologie.

«Qu’est-ce qui se passe avec les autres gènes», résume le chercheur Jean-Michel Claverie dans une entrevue avec Nature . «Ça ouvre une boîte de Pandore: quelles découvertes vont venir de ce contenu?»

Deux rappels pour les non-biologistes

1) En vertu de l’arbre généalogique classique, il existe trois branches du vivant: les eucaryotes (tous les êtres vivants dont la cellule comporte un noyau, c’est-à-dire un grand nombre de micro-organismes, mais surtout tous les animaux et végétaux), les procaryotes (les bactéries sans noyau) et les archées —un micro-organisme qu’on avait d’abord pris pour une bactérie et qu’on a commencé à décrire comme une branche distincte en 1977. Certains biologistes suggèrent qu’il pourrait s’agir d’un survivant d’une forme de vie qui aurait été l’ancêtre des bactéries. D’autres y voient deux branches qui auraient évolué séparément.

2) Un virus n’est pas un être vivant à proprement parler, si on définit la vie comme étant la capacité d’un organisme à se reproduire par lui-même. Parce qu’un virus ne se reproduit que s’il en infecte un autre. Ça explique aussi que le génome d’un virus soit traditionnellement beaucoup plus petit que celui d’une bactérie: il ne survivrait pas par lui-même.

On s’est donc retrouvé devant une énigme lors de la découverte du mimivirus par la même équipe qui est aujourd’hui derrière le Pandoravirus: trop gros, trop complexe, trop différent.

Mais la solution de l’énigme ne se résume peut-être pas qu’à ajouter une quatrième branche. Ces 20 dernières années, les généticiens ont dû admettre que la nature échangeait des gènes beaucoup plus souvent qu’on ne l’avait cru. Est-on si sûr de l’étanchéité entre les branches des eucaryotes et des procaryotes? Et du coup, qu’en est-il de ce nouveau venu? A-t-il lui aussi échangé ou emprunté des gènes avec les autres, dans un passé lointain? Le biologiste canadien Larry Moran, lui-même un partisan de l’abandon du modèle des trois branches, résume les travaux récents :

Les auteurs pointent le fait que les gènes des eucaryotes sont reliés de plus près aux gènes des cyanobactéries, des protéobactéries et des archées, dans cet ordre... L’hypothèse la plus probable est que les eucaryotes sont des chimères résultant de la fusion d’une archéobactérie et d’une eubactérie, en plus de gènes transférés de mitochondries et de chloroplastes.

En termes simples: nous serions tous des hybrides, si on remonte assez loin dans le passé.

L’équipe dirigée par Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel, biologistes à l’Université d’Aix-Marseille, qui décrit le Pandoravirus dans l’édition du 19 juillet de Science , l’avait initialement appelé NLF, pour «New Life Form». Il ne semble infecter que des amibes, en fait, il possède bel et bien des caractéristiques communes à un virus qui a besoin d’infecter une autre forme de vie pour se reproduire: il ne se divise pas par lui-même pour se multiplier, comme une bactérie. Et il ne produit pas ses propres protéines, comme le ferait une bactérie.

Il ressemble donc davantage à un virus qu’à une bactérie, sauf pour sa taille, mais cette exception est justement le mystère: pourquoi a-t-il besoin d’être si gros. Claverie et Abergel sont eux aussi des partisans d’une révision des vieux modèles : il aurait pu s’agir à l’origine d’un micro-organisme autonome, mais qui aurait dégénéré jusqu’à devenir un parasite qui doit «emprunter» à d’autres les gènes dont il a besoin pour produire sa propre énergie et assurer sa survie.

Il semble également inévitable qu’après avoir lu l’article dans Science, plusieurs chercheurs vont se demander s’ils n’auraient pas dans les congélateurs de leurs laboratoires d’autres exemples de ces formes de vie qu’ils auraient jusqu'ici confondues avec des bactéries.

[ correction, 25 juillet, pour tenir compte de la confusion sur les eucaryotes ] 

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