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Ce fut le Nobel le plus attendu, celui dont la découverte était pour une rare fois la plus connue du public —le boson de Higgs. Mais ce sera aussi celui qui laissera le plus sur leur faim tous ceux qui espéraient une rénovation du Nobel.

En 1964, le Britannique Peter W. Higgs et le Belge François Englert ont accouché de la même conclusion: équations à l’appui, ils prédisaient l’existence d’une particule, ou plus exactement un mécanisme «qui contribue à notre compréhension des origines de la masse des particules subatomiques». L’Univers, quoi. Une percée théorique largement suffisante pour se mériter un Nobel près d'un demi-siècle plus tard, lorsque l’existence de ce mécanisme serait finalement confirmée.

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Mais ils n’étaient pas seuls en lice, et si le comité Nobel se l’est souvent fait reprocher, ça n’a jamais été aussi vrai que cette année: l’idée de ne pouvoir attribuer les Nobels de science —médecine, chimie, physique— qu’à un maximum de trois personnes est un anachronisme. La science n’est plus produite, comme à l’époque d’Einstein, par une ou deux personnes dans un laboratoire de fortune.

Au moins six personnes ont prédit l’existence de cette fameuse particule et de la «soupe» dans laquelle elle baigne.

  • Ça commence par un article paru en août 1964 et signé par les physiciens belges François Englert et Robert Brout (décédé en 2011), où ils décrivent un champ «générateur de masse» qui imprégnerait l’Univers.
  • En octobre 1964, le physicien écossais Peter Higgs énonce dans un second article à peu près la même théorie, sur ce qui sera connu sous le nom de champ de Higgs: un genre de soupe cosmique qui, en interagissant avec les particules, leur donne une masse.
  • Enfin, en novembre 1964, le Britannique Tom Kibble et les Américains Carl Richard Hagen et Gerald Guralnik publient un troisième article, détaillant ce mécanisme —l’intensité de l’interaction entre le boson et son champ. Mécanisme que plusieurs physiciens ont longtemps appelé le mécanisme Higgs-Kibble.

La physique des particules tente d’en confirmer l’existence depuis les années 1980. L’objectif sera finalement atteint en juillet 2012, au CERN, par deux équipes distinctes, ATLAS et CMS, réunissant des milliers de personnes.

Il a été, pour cette raison, plusieurs fois suggéré de remettre le Nobel de physique à des groupes (comme le fait souvent le Nobel de la paix), plutôt qu’à des individus: en l’occurrence, le CERN et les équipes ATLAS et CMS. Pas seulement pour souligner l’aboutissement d’un travail collectif de 49 ans, mais aussi parce que c’est ainsi que se construit désormais la science, protestait en début de semaine le physicien Sean Carroll, dans un billet adressé au comité Nobel :

Je comprends que vous ne vouliez pas noyer les honneurs associés au prix en le remettant à trop de personnes (les rangs des «lauréats» grimperaient dans les milliers...) mais il est plus important de bien faire les choses que de s’accrocher à une règle bureaucratique.

Tom Kibble a réagi mardi matin à l’annonce du Nobel 2013 par une ironie toute britannique:

Mes deux collaborateurs, Gerald Guralnik et Carl Richard Hagen, et moi-même, avons contribué à cette découverte, mais notre article était sans conteste le dernier des trois à être publiés dans Physical Review Letters en 1964 (bien que nous considérions naturellement notre travail comme le plus minutieux et le plus complet) et ce n’est par conséquent pas une surprise que l’Académie suédoise ait été incapable de nous inclure, limitée qu’elle est par cette règle qu’elle s’est imposée que le prix ne peut être partagé par plus de trois personnes.

Quelques faits en vrac

  • En 2010, Higgs, Brout, Englert, Guralnik, Hagen et Kibble se sont partagé le prix Sakurai, de la Société américaine de physique —ceux qui l'ont gagné sont nombreux à avoir plus tard décroché un Nobel. C'était la première fois que ce prix était partagé entre six personnes.
  • François Englert est né en 1932 en Belgique. Aujourd’hui professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles.
  • Peter W. Higgs est né en 1929 en Grande-Bretagne. Aujourd’hui professeur émérite à l’Université d’Edimbourg.
  • Depuis sa création en 1906, le Nobel de physique n’a pas été attribué à six reprises: 1916, 1931, 1934 et de 1940 à 1942 pendant la Deuxième guerre mondiale.
  • Depuis sa création en 1906, le Nobel de physique n’est allé qu’à deux femmes: Maria Goeppert Mayer et Marie Curie.
  • Croyez-le ou non, les parieurs avaient aussi l’oeil sur d’autres finalistes. Sur la base de l’index des citations, Thomson Reuters jugeait par exemple que les chances du physicien Hideo Hosono, de l’Institut de technologie de Tokyo étaient bonnes, pour sa découverte des supraconducteurs à base de fer.
  • Mais les finalistes qui auront certainement d’autres chances dans les années à venir sont Michel Mayor, Didier Queloz et Geoffrey Marcy —découvreurs des premières planètes extrasolaires en 1995, lesquelles se comptent aujourd’hui par milliers, avec la possibilité d’en détecter une, un de ces jours, qui ressemble à la Terre.

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