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«Le soleil est le principal facteur des changements climatiques. Pas vous. Pas le CO2». Affichée en bordure de l’autoroute 40, dans l'arrondissement d’Anjou à Montréal, la publicité payée par une organisation albertaine climatosceptique, Friends of Science, ou les «Amis de la science», en a étonné plus d'un!

 

À commencer par Daniel-Jean Primeau, dont la photo du panneau-réclame est devenue virale après avoir été relayée sur les médias sociaux. «Je l’ai photographié parce que ça m'a mis en rogne de voir cette désinformation à grands frais! Et ce, la même journée que la révélation de ce plan de communication de Énergie-Est pour nous rentrer le pipeline dans la gorge à grand renfort de mensonges, de séduction et de porte-paroles payés!», raconte l’artiste qui s’en allait photographier une de ses réalisations et avait son appareil photo avec lui.

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Publicité en série

Les «Amis de la science» n'en sont pourtant pas à leurs premières offensives publicitaires. En juillet dernier, le média indépendant Vancouver Observer rapportait l’affichage à Calgary de publicités de ce même groupe. Elles trônaient, tout comme celle aperçue à Montréal, sur une installation de la compagnie d'affichage publicitaire Pattison, présente également au Québec. Cette compagnie est d'ailleurs l’une des trois plus importantes compagnies d’affichage publicitaire de la province avec Astral Affichage et CBS Affichage. Ensemble, les trois compagnies gèrent 95% de l'inventaire des panneaux publicitaires, abribus et colonnes urbaines au Québec.

Pattison appartient au groupe du même nom, Jim Pattison, qui possède 455 bureaux répartis dans le monde et est actif dans différentes sphères d’activité tels la distribution de produits alimentaires, la concession automobile, la publicité ou encore des médias et la distribution de magazines –avec News Group, le deuxième distributeur de journaux et de magazines en importance en Amérique du Nord.

Affichage et réglementation

Comme pour toute publicité, l'affichage sur panneau-réclame est soumis au Code canadien des normes de la publicité, administré par les Normes canadiennes de la publicité. Et dans ce cas précis, c'est l'article 8 du code qui prend effet: «Les publicités ne doivent pas altérer la portée véritable des énoncés faits par des professionnels (les) ou des scientifiques reconnus (es). Les énoncés publicitaires ne doivent pas laisser entendre qu’ils ont un fondement scientifique quand ce n’est pas le cas. Toute allégation ou déclaration scientifique, professionnelle ou jouissant d’une grande autorité, doit se référer au contexte canadien, à moins qu’il n’en soit autrement mentionné de façon claire.» La formulation utilisée par le groupe climatosceptique ne contrevient donc pas à cet article du code des normes de la publicité.

Le rôle des afficheurs est de suivre les règles en vigueur en veillant à la moralité et au bon goût des messages, rappelle Jeannot Lefebvre de Outfront Media (anciennement CBS Affichage) et membre de l’Association marketing canadienne de l’affichage: «Nous avons des règles à suivre, mais nous ne jouons pas à la police. On présume de la véracité des messages qui nous arrivent. Nous ne sommes pas des scientifiques, ni un média possédant des journalistes capables d’enquêter. Si par exemple un organisme veut afficher une annonce sur la fin du monde, il est possible qu’on le refuse en raison de la panique qu'elle pourrait susciter. Notre rôle n’est pas de vérifier et nous allons présumer de la bonne foi du monde. Cela n’a rien à voir avec nos convictions, nous sommes ouverts à tous.»

Les «Amis de la science» s’affichent

Le comité scientifique conseil de l’organisation climatosceptique albertaine Friends of Science compte des personnalités pour le moins controversées. Le Canadien Tim Patterson est professeur de géologie et de paléoclimatologie de l’Université Carleton et a réalisé de nombreuses études sur les fossiles foraminiféraux utilisés par l’industrie pétrolière comme indices de dépôts potentiels de pétrole. Il est également un climatosceptique notoire ayant siégé au comité-conseil du défunt organisme Natural Resources Stewardship Project reconnu pour être un des lobbies de l’industrie énergétique. L'ex-météorologiste d’Environnement Canada, Madhav Khandekar, associé à la contestée Fondation politique du réchauffement global (Global Warming Policy Foundation) et le professeur associé de l’École de l’environnement de l’Université d’Auckland, Chris de Freitas, mêlé à la controverse Soon et Baliunas, complètent le trio à la tête du comité scientifique de l'organisation dont le financement a été souvent assuré, au cours des années, par des compagnies pétrolières.

Malhonnêteté intellectuelle

Cette annonce alarme le directeur général du Consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques Ouranos. « C’est de la malhonnêteté intellectuelle. Cette annonce va à l’encontre de ce que soutiennent les scientifiques depuis des années, basé sur des milliers de données », s’exclame Alain Bourque.

« C’est aussi déloyal d’utiliser une année pour illustrer un discours erroné. L’année 1998 — il y a 16 ans — ne peut représenter la tendance, elle reflète plutôt la variabilité naturelle, comme le rapportent les chercheurs. Depuis les années 1960, on continue d’enregistrer une croissance soutenue des températures océaniques », renchérit-il.

Alors que le scientifique s’inquiète de la diminution de l’accessibilité des données et du désinvestissement canadien à la science du climat, les fausses annonces autour des changements climatiques viennent compromettre la bonne compréhension du phénomène planétaire par le grand public, estime-t-il.

Pas de réponse avant la fin janvier!

Ce panneau publicitaire contrevient-il — comme nous le laissions entendre dans ce texte — ou non à l'Article 8 du Code canadien des normes de publicité?

« Je n’ai pas de réponse à vous donner pour l’instant », répond Mme Janet Feasby, vice-présidente aux Normes canadiennes de la publicité, l’organisme d’autorégulation de la publicité. Mme Feasby rappelle qu'il existe une procédure à suivre pour vérifier la validité d'un affichage une fois qu'une plainte a été déposée, soit la récolte d'autres plaintes, l'envoi de celles-ci à l'annonceur, qui a alors 10 jours pour répliquer aux arguments de la plainte.

Le Conseil des normes – constitués de représentants de l’industrie de la publicité et du public — se réunit par la suite pour prendre une décision. L'annonceur peut aussi faire appel de cette décision. « Tout ce processus peut prend de 4 à 6 semaines. Nous pensons qu'à la fin du mois de janvier, nous pourrons vous faire savoir si cette publicité contrevient ou non aux normes canadiennes. Notre décision sera publiée sur notre site web. À cette première étape de la procédure, je ne peux donc pas affirmer que la publicité contrevient ou pas à l’Article 8 du Code canadien des normes de la publicité ou aux autres articles. »

Crédits photographiques: Daniel-Jean Primeau

Cet article a été mis à jour suite aux commentaires des représentants de Outfront Media, d'Ouranos et des Normes canadiennes de la publicité.

 

 

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