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S’il faut en croire les plus pessimistes observateurs du climat, les climatologues ne sont pas des alarmistes: ils sont des optimistes qui évitent de faire des constats trop sombres pour ne pas déplaire aux politiciens.

Pour le Britannique Kevin Anderson par exemple, du Centre Tyndall sur les changements climatiques, les modèles climatiques qui prétendent démontrer comment nous pourrions réussir à ne pas dépasser le seuil des 2 degrés Celsius d’ici la fin du siècle, reposent sur des estimations trop prudentes des émissions de gaz à effet de serre actuelles et futures, et sur des estimations trop optimistes du moment où ces émissions atteindront un sommet.

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Le chroniqueur environnemental David Roberts a pondu récemment un billet qui a fait jaser, en donnant la parole à quatre de ces experts pour qui l’objectif des 2 degrés est irréaliste: nous sommes plutôt sur une trajectoire qui conduira à une augmentation de trois, voire quatre degrés. L’analyste politique allemand Olivier Geden a par exemple exprimé ce dilemme dans une sévère lettre d’opinion publiée le 6 mai par Nature : les politiciens veulent des bonnes nouvelles et les climatologues se sentent poussés à ne pas paraître trop pessimistes.

Les climatologues qui conseillent les politiques sentent avoir deux choix: être pragmatiques ou être ignorés. Ils peuvent soit prendre leurs distances du processus politique en déclarant qu’il n’est plus possible de maintenir des dépenses de carbone qui soient compatibles avec un seuil de deux degrés, soit suggérer des façons pratiques de limiter notre budget carbone.

Et ce n’est pas juste de la faute aux politiciens, résume David Roberts. «Les scientifiques ont très peu d’incitatifs pour dire les vérités déplaisantes»: déjà, certains les taxent d’alarmistes, la pression serait donc plus forte encore s’ils parlaient des conséquences d’une augmentation de 3 ou 4 degrés.

Dans l’absolu, la Terre a dépassé dans la dernière année le seuil des 400 parties par million (PPM) de CO2 dans son atmosphère, un niveau inégalé depuis des millions d’années. Si rien ne change à notre consommation de pétrole, nous atteindrons les 1000 PPM, ce qui se traduira par une hausse des températures moyennes variant entre 3,2 et 5,4 degrés. La vérité se situera vraisemblablement entre 500 et 1000 PPM, mais personne n’est en mesure de dire quel scénario se réalisera.

Ce qui est sûr, c’est qu’entre 3 et 4 degrés Celsius d’augmentation, la Terre fera face à «des canicules extrêmes, un déclin des réserves alimentaires mondiales, une perte des écosystèmes et de la biodiversité et une hausse du niveau des océans menaçante pour les populations», et ce particulièrement dans «les régions les plus pauvres du monde». Ce constat ne provient pas des climatologues les plus alarmistes, mais d’un rapport de 2012 de la Banque mondiale.

Dans sa réponse à Olivier Geden, l’expert allemand en politiques climatiques Niklas Höhne, du New Climate Institute, pointe le fonctionnement du GIEC :

Le GIEC n’a jamais pris position pour une cible et n’a jamais commenté sur la faisabilité, pas plus que le [rapport du comité des Nations Unies sur le développement]. Tous deux ont montré les scénarios et les estimations qui y sont associées... Aucun des rapports ne porte de jugement sur la faisabilité. Ils laissent cela aux décideurs politiques.

Le problème est que si les décideurs ne veulent entendre que les messages positifs, une partie des conclusions des experts passe du coup inaperçue. Certes, comme le rappellent des climatologues —moins pessimistes— comme Michael Mann ou Stefan Rahmstorf, la cible des deux degrés reste «physiquement» atteignable. Mais le problème, pointe David Roberts, n’est pas ce qui est «physiquement» possible, mais ce qui est «politiquement» possible.

L’un de ceux qui accepte d’être le porteur des mauvaises nouvelles est le biologiste Guy McPherson. Sur son blogue sous-titré «nos jours sont comptés», il insiste lui aussi sur la tendance des climatologues à choisir «le moins pire des scénarios» et énumère les recherches des dernières années qui ont tendance à nous apprendre que nous avions sous-estimé le problème —les glaces de l’Arctique fondent plus vite que prévu, la température dans la troposphère est plus élevée que prévu, les océans se réchauffent plus vite que prévu...

Et pour un aperçu de ce que voudraient dire des «canicules extrêmes» sur une planète où la température moyenne serait de 4 degrés plus élevée qu’aujourd’hui, il n’y a qu’à se tourner en ce moment vers l’Inde, où la canicule a fait plus de 2000 morts, ou vers le sud-ouest des États-Unis où la sécheresse accumulée va imposer des choix douloureux à une agriculture qui emploie des millions de personnes. Pour McPherson, Roberts et d’autres, il est trop tard pour effectuer un virage qui permettrait d’éviter les impacts catastrophiques d’une augmentation de 3 ou 4 degrés; on peut tout au plus s'y préparer.

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