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Soupçonnés depuis quelques années déjà, les néonicotinoïdes ont vu récemment leur statut de « tueurs d’abeilles » confirmé par deux études, l’une européenne et l’autre canadienne.

Les résultats de ces travaux de recherche valident la nocivité pour les pollinisateurs, et particulièrement pour les abeilles, de cette classe de pesticides utilisés depuis 30 ans en agriculture. Les néonicotinoïdes diminueraient en effet les capacités des pollinisateurs d’établir de nouvelles colonies dans l’année suivant l’exposition, réduisant les chances de survie des populations éventuelles.

Des expériences menées en Europe (Allemagne, Grande-Bretagne et Hongrie) auprès de trois espèces d’abeilles ont démontré une variation de l’impact de deux insecticides (la clothianidine et le thiaméthoxame), faisant partie de la grande famille des néonicotinoïdes, sur les pollinisateurs des cultures de colza, selon la période de l’année et le site.

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Des effets négatifs ont ainsi été constatés lors de la floraison sur les espèces d’abeilles présentes en Hongrie et en Grande-Bretagne, mais pas sur celles de l’Allemagne. Des effets persistants — au-delà de l’hiver — ont aussi été notés sur les sites hongrois avec un déclin observé d’un quart de la colonie le printemps suivant. De plus, la capacité de reproduction des abeilles sauvages (Bombus terrestris et Osmia bicorne) sur ces territoires diminuerait avec l’augmentation des résidus de néonicotinoïdes.

Du côté canadien, la récente étude rapporte une augmentation de la mortalité des abeilles ouvrières et des reines lorsque les colonies sont exposées à des doses de néonicotinoïdes similaires à celles retrouvées dans les champs de maïs traités. L’espérance de vie des abeilles serait ainsi réduite de 23 % lors d’une exposition précoce, soit lors des neuf premiers jours de leur cycle de vie, ont rapporté les chercheurs. Exposées à ces insecticides pendant quatre mois — la durée de la saison des abeilles —, les colonies démontreraient aussi, en plus d’une perte de leurs membres, une baisse d’activité au niveau de leurs comportements sociaux.

Les chercheurs canadiens ont noté de plus que la toxicité des néonicotinoïdes doublerait lors de la présence d’un fongicide, une substance également utilisée en agriculture.

Que sont les néonicotinoïdes ?

Les néonicotinoïdes regroupent les insecticides les plus utilisés à l’échelle de la planète. Ils servent à traiter de façon préventive les semences contre les ravages des insectes. Par conséquent, ils se retrouvent dans toutes les parties de la plante. On parle alors de pesticides systémiques.

Comme ils sont composés le plus souvent de dérivés chlorés qui se dégradent peu, ils persistent dans l’environnement. Ces substances, qui ne recèlent qu’une dizaine de molécules, démontrent une grande toxicité. Elles ciblent le système nerveux des insectes, empêchant les pollinisateurs de s’orienter, allant jusqu’à causer leur mort.

Depuis quand les utilise-t-on ?

Les grandes compagnies agrochimiques ont commencé à développer ces insecticides au tournant des années 1980. Le plus connu est l’imidaclopride, développé en 1985. Il est encore largement utilisé à travers le monde, malgré son usage restreint en Europe. Employé sur de nombreuses semences, dont le maïs et le canola, il représenterait près de 40 % du marché mondial des pesticides utilisés en agriculture.

D’autres insecticides de cette même famille ont depuis été développés. Les risques et usages connus pour chacun sont recensés dans la base de données SAgE Pesticides du Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ).

Au Canada, les agriculteurs les utilisent depuis les années 1990. L’imidaclopride, le clothianidine et le thiaméthoxame sont les trois principaux insecticides utilisés ici. Ils sont règlementés, mais ne sont pas interdits au Canada, selon la Loi sur les produits antiparasitaires, qui définit les conditions d’homologation des produits.

Santé Canada tient une liste des contaminants soulevant des questions particulières en matière de santé et d’environnement. Les néonicotinoïdes n’y figurent pas. Cependant, comme leur utilisation a augmenté ces dernières années, ils feraient actuellement l’objet d’un examen plus poussé de la part des chercheurs de l’Agence de règlementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), un organisme dont la mission est de réévaluer régulièrement les risques engendrés par les pesticides.

De son côté, l’Europe souhaite aller de l’avant avec une interdiction complète de cette grande famille d’insecticides pointée du doigt dans le déclin des populations d’abeilles. Cet élan fait suite à la publication d’une étude internationale sur ces pesticides systémiques qui avait conclu à leur prévalence et à leur impact sur les insectes pollinisateurs — une « menace sur la production agricole mondiale », soulignaient les chercheurs.

Des résultats préoccupants

Si la toxicité de ces pesticides semble négligeable pour la santé humaine, le signalement d’une hausse de la mortalité des abeilles en lien avec leur utilisation a poussé l’ARLA — en collaboration avec l’EPA, l’Agence américaine de protection de l’environnement — à entamer en parallèle une évaluation préliminaire des risques de l’imidaclopride pour les insectes pollinisateurs. Les résultats publiés en 2016 révèlent qu’« aucun risque inacceptable [n’est encouru] pour les abeilles domestiques lorsque de rigoureuses précautions visant à limiter leur exposition sont suivies. »

Les résultats de ces deux récentes études pourraient cependant pousser les scientifiques à reconsidérer ces résultats alors qu’ils examinent actuellement les risques environnementaux de cet insecticide sur les abeilles sauvages et sur les invertébrés aquatiques.

Au-delà des abeilles

Les néonicotinoïdes sont également montrés du doigt pour leur nocivité auprès d’autres espèces animales dont les vers de terre et les papillons. Quatorze espèces d’oiseaux, dont les populations sont aussi en déclin, feraient aussi partie des victimes touchées par ces pesticides, selon une étude hollandaise. Une vaste étude internationale avait aussi démontré, il y a quelques années, que bien d’autres insectes et espèces seraient la cible involontaire des néonicotinoïdes.

Par répercussion, les effets de ces insecticides sur les abeilles et autres pollinisateurs pourraient entraîner de graves conséquences sur la production alimentaire des populations humaines, soulignaient les chercheurs de cette autre étude. Destinés à préserver les récoltes contre les ravageurs, les néonicotinoïdes avaient pour but au moment de leur introduction de remplacer des produits jugés comme toxiques pour l’environnement et la santé. Ces études démontrent aujourd’hui qu’ils sont en fait tout aussi toxiques pour les insectes utiles aux récoltes — et plus largement, pour l’environnement.

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