Embryons en boîte
(ASP) - Or donc, des
scientifiques ont utilisé des embryons créés
spécifiquement pour la recherche. Il
les ont laissé croître pendant quelques
heures, et ont prélevé les cellules dont
ils avaient besoin. Au-delà du frisson qu'a
provoqué cette nouvelle, il faut se rappeler
qu'elle n'est pas inattendue: en fait, on s'étonne
que personne ne l'ait annoncé "officiellement"
plus tôt.
Parce que les cellules-souches
dont il est question ici -en d'autres termes, des cellules
d'embryons- ont déjà été
maintes et maintes fois prélevées sur
des embryons avortés. Et parce que depuis
trois ans, la recherche sur les cellules-souches
est devenue l'une des voies les plus prometteuses de
tout le secteur médical: là, dans ces
cellules, dort peut-être la solution à
bien des problèmes de greffes d'organes, et de
maladies dégénératives comme l'Alzheimer
ou le Parkinson. L'embryon, pour reprendre l'expression
de Libération, se révèle
être une
"matière première" de premier choix.
Parce que les cellules-souches
ont la particularité, pendant la première
phase de l'embryon, de ne pas s'être encore spécialisées.
Ce sur quoi travaillent les chercheurs, c'est donc d'arriver
à les contrôler, de dire à ces cellules:
toi, tu vas devenir un poumon; toi, une rate; toi, un
rein; toi, des tissus cervicaux, dont nous nous servirons
ensuite pour combattre l'Alzheimer chez ce Monsieur.
Et parce que, enfin,
dans tous les pays du monde, on s'interroge sur la possibilité
d'interdire toute forme de recherche sur des embryons
humains. De nombreux laboratoires sentent donc la soupe
chaude, et se croient autorisés à aller
au plus pressé, peut-être dans l'espoir
de démontrer aux politiciens l'importance de
poursuivre les recherches sur les cellules d'embryons.
Mais entre l'utilisation
d'embryons avortés ou "surnuméraires"
(dans les cliniques de fertilité, on en produit
plus que moins, au cas où ça ne marcherait
pas du premier coup), et l'utilisation d'un embryon
"créé" spécialement pour qu'on
puisse lui prélever ses cellules, il y a une
marge psychologique imposante, que cette clinique de
Virginie est devenue la première au monde à
franchir -du moins, la première à l'avoir
reconnu. Cette "initiative", qui s'est méritée
la Une du Washington Post, va
directement à l'encontre des recommandations
récentes de la Commission nationale de bioéthique
des Etats-Unis, des National Institutes of Health et
des comités d'éthique de la Commission
européenne. Inutile de dire qu'elle s'est attirée
les foudres des groupes religieux et conservateurs -et
ce, au moment même où le président
George W. Bush s'apprête à rendre une décision
sur le fait d'autoriser ou non la recherche sur les
embryons humains, avortés ou non. Difficile d'imaginer
un plus mauvais "timing" pour les promoteurs de ce type
de recherche
A l'heure actuelle,
les Etats-Unis sont assis entre deux chaises: ce type
de recherche est interdit dans les laboratoires financés
par l'État
mais pas dans ceux financés
par l'entreprise privée, laquelle, comme par
hasard, finance l'essentiel de ce type de recherche!
Les gens de l'Institut
Jones de médecine reproductive, qui fait partie
de l'Ecole de médecine de Virginie, se sont défendus
en alléguant qu'ils avaient consulté membres
du clergé, éthiciens, juristes et autres
experts, sur la possibilité de créer ces
embryons à titre de matière première
de cellules-souches. Le comité d'éthique
de l'Institut a conclu de ces consultations que "la
création d'embryons à des fins de recherche
est justifiable, et qu'il est de notre devoir de procurer
à l'humanité la meilleure compréhension
des premiers stades du développement humain".
Cette mise au point fait également partie de
l'annonce officielle, parue dans l'édition de
juillet de la revue Fertility and Sterility. Et
c'est l'arrivée en kiosque, mercredi, de cette
revue, qui
a déclenché le tollé médiatique.
Pour "créer"
ces embryons, l'équipe a prélevé
des ovules chez 12 femmes -payées de 1500 à
2000$ chacune. En tout, 162 ovules, qui furent ensuite
inséminés. Il en a résulté
50 embryons, dont 40 chez lesquels des cellules-souches
ont pu être prélevées au bout de
quelques heures, et qui ont, tout de suite après,
été détruits.
La recherche a donc
été financée par une entreprise.
Une autre entreprise, le géant de la biotechnologie
Advanced Cell Technology, de Worcester, Massachussetts,
a reconnu à son tour, vendredi, avoir
mené depuis l'an dernier des expériences
similaires. Son président, pressé
de questions par les journalistes, a refusé de
dire combien de femmes avaient été impliquées,
et jusqu'où l'expérience s'était
rendue. "Nous n'essayons pas de cloner des gens", a-t-il
dû répéter à plusieurs reprises,
la confusion entre cette expérience, appelée
par les médecins "clonage thérapeutique",
et le clonage proprement dit, étant grande.