Au pays des mutants
(ASP) - Les gens qui furent exposés
aux plus fortes retombées radioactives sont ceux
qui ont subi les plus fortes mutations. Cela ressemble
à un mauvais scénario de science-fiction
des années 60, mais c'est le résultat
de recherches récentes sur l'impact des essais
nucléaires soviétiques effectués
entre 1949 et 1989.
Il en ressort en effet que les citoyens
du Kazakhstan, aujourd'hui pays indépendant,
à l'époque partie intégrante de
l'URSS, cachent deux
fois plus de mutations dans leurs spermatozoïdes
et leurs ovules que la normale. Des mutations qui,
en retour, peuvent résulter en des malformations
chez leurs enfants.
L'Union Soviétique a fait exploser
470 armes nucléaires pendant cette période,
sur son site d'essai de Semipalatinsk. La plupart furent
des explosions souterraines. En particulier, quatre
de ces tests, entre 1949 et 1956, ont généré
des nuages de poussières radioactives s'étendant
jusqu'à 100 kilomètres, et les habitants
ont reçu, dans le pire des cas, jusqu'à
un
cinquième de la dose considérée
comme mortelle.
On savait déjà, par les
rapports médicaux, que ces essais étaient
la cause d'un nombre anormalement élevé
de cancers et autres problèmes médicaux.
Mais les rapports médicaux eux-mêmes étaient
épars, et personne n'était allé
jusqu'à effectuer des tests génétiques.
L'équipe dirigée par le généticien
Youri Dubrova, de l'Université de Leicester,
en Angleterre, a donc décidé de s'attaquer
à trois générations de 40 familles
vivant, encore aujourd'hui, dans les régions
du Kazakhstan touchées par ces retombées
radioactives.
Le fait, écrivent-ils
dans la revue Science, d'y avoir découvert
un taux de mutations deux fois supérieur à
la normale dans le sperme et les ovules, démontre
la vitesse affolante à laquelle peuvent se produire
des mutations génétiques.
La prochaine étape sera de tenter
de corréler ces mutations avec des problèmes
de santé constatés chez la jeune génération
voire, chez celle qui n'est pas encore née. Mais
de tels liens risquent d'être difficiles à
établir: même dans des situations normales,
on a encore peu de certitudes sur les causes génétiques
de maladies (une personne qui porte le gène d'une
maladie peut ne jamais développer cette maladie,
pour d'obscures raisons). Et en dépit de décennies
d'études autour des habitants de la région
d'Hiroshima et de Nagasaki, détruites par les
bombes atomiques américaines en 1945, on n'est
jamais parvenu à démontrer avec certitude
que des individus irradiés ont donné naissance
à davantage d'enfants difformes.