Les scientifiques partagent moins
(ASP) - La science a reposé, à
toutes les époques, sur le partage d'information.
Mais à l'heure où Internet devrait sur-multiplier
ce partage, des recherches récentes tendent à
démontrer qu'au contraire, le secret est de plus
en plus de mise.
En dépit de l'image populaire,
qui associe souvent les laboratoires aux secrets d'État,
la plupart des avancées de la science ont en
effet été rendues possibles parce que
les scientifiques étaient de grands livres ouverts:
quiconque désirait accéder à leurs
données complètes, à leurs rapports
de recherche, à leurs méthodologies, n'avait
qu'à en faire la demande, dès que cette
recherche était complétée.
Or, une étude menée auprès
de 1800 généticiens et autres experts
en sciences de la vie vient de confirmer ce que plusieurs
soupçonnaient: près de la moitié
de ces scientifiques ont refusé à leurs
collègues d'accéder à leurs données,
concernant des recherches qu'ils avaient pourtant déjà
publiées. Et ce qui n'arrange rien, les 1800
scientifiques en question ont été choisis
parce qu'ils travaillent dans les 100 centres de recherches
universitaires américains recevant les plus importantes
subventions gouvernementales -bref, des fonds qui appartiennent,
en théorie, au public.
L'étude a été menée
par une équipe de l'Ecole de médecine
de l'Université Harvard et l'Hôpital général
du Massachusetts, et est publiée dans la dernière
édition du Journal of the American Medical
Association.
Et
ce n'est pas la première fois que de tels résultats
troublants surgissent, rappelle le Los Angeles
Times: dès 1990, une étude menée
à l'Université Carnegie Mellon, à
Pittsburgh, avait découvert que le tiers des
règlements sur la recherche dans 1058 centres
universitaires financés par l'industrie, comportaient
des clauses autorisant le commanditaire à empêcher
la divulgation des résultats.
De fait, la montée en puissance
de cette manie du secret semble directement liée
à la montée en puissance du secteur privé
dans le secteur de la recherche universitaire -lui-même
lié au désengagement progressif des gouvernements.
"Ultimement, ça va avoir un impact
sur la qualité de la science", déplore
pour le Times, Sheldon Krimsky, dont la tâche
est de suivre les conflits d'intérêt et
les problèmes éthiques en recherche. D'une
part, l'information circule plus difficilement, ce qui
ralentit le travail d'équipes qui travaillent
sur des projets indépendants, mais assez proches
pour pouvoir se nourrir les uns des autres. Dans l'étude
de Harvard, un chercheur sur quatre a dû retarder
ses propres travaux parce que des collègues avaient
d'autant retardé la divulgation de leurs données.
Mais d'autre part, il devient impossible
aux autres chercheurs de détecter les erreurs,
lorsque erreurs il y a, dans les travaux de leurs collègues,
de sorte que ceux-ci peuvent poursuivre sur leur lancée
pendant des années, sans s'apercevoir qu'une
partie de leur édifice repose sur une faille.
Il y a évidemment des gros sous
derrière tout cela. La recherche universitaire
génère, selon certaines évaluations,
quelque 40 milliards$ par année aux Etats-Unis.
Et c'est sans compter la recherche qui se fait dans
les laboratoires industriels et commerciaux. L'industrie
pharmaceutique, à elle seule, a dépensé
en recherche 22,4 milliards$ en l'an 2000, en partenariat
ou non avec des universités.