Pour quatre raisons:
1. La santé
Si vous êtes
dans une cabine spatiale pendant
six mois, entre la Terre et Mars,
et six autres mois au retour, vous
devrez prévoir une
protection anti-radiations supérieure
à ce qui existe aujourd'hui.
Des particules chargées électriquement
sont émises en permanence
par le Soleil. Lors des éruptions
les plus violentes, comme celle
de l'automne dernier, les astronautes
de la station spatiale doivent aller
se réfugier dans une pièce
protégée, spécialement
conçue à cet effet.
La protection devra être encore
plus poussée sur une fusée
interplanétaire, puisqu'en
cas de pépin, il n'y a pas
de retour possible vers la Terre.
Mais il y a aussi
la santé psychologique. Pendant
les années 70 et 80, les
Américains et surtout, les
Soviétiques, ont étudié
les effets physiques d'un
long séjour dans l'espace:
décalcification des os, perte
de l'équilibre dans l'oreille
interne, nausées, etc. Mais
il a fallu attendre les années
90 avant qu'on ne commence à
s'interroger sur la psychologie
(résumé
des problèmes de santé
possibles dans cet
article du Houston Chronicle).
Imaginez devoir partager
un espace clos, 24 heures sur 24,
avec les mêmes personnes,
dont vous finissez par connaître
toutes les manies, avec qui vous
n'avez plus aucune intimité
et par-dessus tout, il y a
cette impossibilité de vous
en échapper pour aller faire
un tour dehors. Imaginez que le
seul contact avec les gens aimés
qui sont restés sur Terre
le soit par des communications radio,
et que même un dialogue devienne
progressivement impossible à
mesure que vous vous éloignez
de la Terre (il faut alors compter
quelques minutes avant d'avoir la
réponse à une question).
Il y a des gens que
l'on croyait pourtant hyper-entraînés
et hyper-solides (dans l'armée
par exemple) qui ont claqué
des dépressions pour moins
que ça.
A ce jour, on n'a
pas l'ombre d'un début de
solution à ce problème,
qui est celui dont on parle le moins
dans les médias, mais celui
qui fait le plus peur aux organisateurs
d'une expédition interplanétaire.
Car un espace clos
reste un espace clos, même
si on y a introduit la meilleure
technologie du monde.
2. L'argent
A court terme par
contre, c'est lui le facteur-clef.
Le projet d'un retour sur la Lune,
suivi de missions vers Mars, déposé
en 1989 par l'autre George Bush,
le père, et qui avait été
rejeté par le Congrès,
aurait nécessité un
budget estimé entre 400 et
500 milliards de dollars.
Or, le budget de la
Nasa est actuellement de 15 milliards
par an. Dans son discours, l'actuel
George Bush ne propose qu'une augmentation
d'un milliard... sur cinq ans. On
est loin du compte.
Les plus optimistes
parlent déjà d'une
réorganisation administrative
de la Nasa: un terme pudique qui
englobe les nombreuses erreurs de
parcours qui, étalées
sur deux décennies, sont
en partie responsables des tragédies
des navettes Challenger il y a 15
ans, et Columbia l'an dernier. Mais
même en mettant fin au programme
des navettes en 2010, même
en annulant la dernière mission
de réparation du télescope
Hubble, même en supposant
que la technologie actuelle permette
d'envoyer des hommes là-haut
à moindre prix -ce qui reste
à prouver- et même
en mettant fin au programme de la
station spatiale recommandation
avancée jusque sur le site
des fans de l'exploration
spatiale, Space.com, il faut
le faire! on reste loin des
centaines de milliards de dollars
nécessaires.
Avant le discours
du président Bush, alors
qu'on en connaissait déjà
tous les détails sauf le
budget, Space.com appelait
de tous ses voeux une augmentation
de 15 à 20 milliards$
du budget de la Nasa.
Un retour sur la Lune
est certes possible avec le budget
actuel et les progrès technologiques
survenus depuis les missions Apollo
d'il y a 30 ans. Mais un voyage
vers Mars est irréaliste.
Du moins, un voyage sécuritaire.
3. La politique
versus la science
Il est impossible
de prouver que cette annonce du
président Bush soit liée
au fait que l'on approche des élections.
Mais chose certaine, le fait qu'elle
survienne dans une année
électorale est une mauvaise
nouvelle pour la science: les élus
démocrates au Congrès
auront tout intérêt
à attaquer les failles du
projet, eux aussi pour des raisons
électorales.
Le
projet est loin d'être aussi
solide qu'il en a l'air. Ce
qui en survivra après novembre
prochain date des élections
présidentielles dépend
beaucoup plus, désormais,
de jeux politiques que d'une recherche
scientifique neutre et rigoureuse.
Il n'y a "aucune explication
raisonnable", "aucune raison spécifique"
à ce plan, en-dehors de la
grande aventure, déplore
par exemple Robert Park, directeur
de la Société américaine
de physique. Veut-on trouver de
la vie sur Mars? Si oui, des robots
feraient l'affaire. Veut-on évaluer
si, à long terme, une exploitation
minière, voire une colonisation
de la planète rouge, sont
possibles? Là encore, des
robots pourraient déblayer
le terrain au cours des prochaines
décennies, pour une fraction
du coût.
"Nous ne mettons pas
notre doigt dans un liquide pour
en vérifier la température,
nous plaçons un thermomètre".
4. Laisser le
temps au temps
Comme l'ont écrit
maints philosophes et penseurs du
XXe siècle, il est tout à
fait possible que le destin de l'humanité
réside dans le cosmos. Mais
c'est là une perspective
à long terme, au même
titre qu'il a fallu des siècles
à nos ancêtres avant
d'oser franchir l'océan.
Ce n'est pas parce qu'une technologie
existe en l'occurrence, la
technologie nécessaire à
un voyage Terre-Mars qu'elle
est immédiatement employée.
Et ce n'est pas parce
qu'une idée est excellente,
voire logique, qu'elle fonctionne
dans la réalité. En
1972, le président américain
Richard Nixon avait lui aussi eu
son heure de gloire spatiale, lorsqu'il
avait lancé le projet révolutionnaire
d'un "véhicule réutilisable"
censé réduire considérablement
le coût des voyages dans l'espace.
Ce fut la navette
spatiale. Elle coûta 10 fois
ce qui avait été prévu...
et on connaît la suite