Cancer: faux espoirs ou vrais progrès?
Il ne terrifie pas comme la fièvre d'Ebola
ou la bactérie mangeuse de chair; il n'a pas transformé nos
moeurs comme le sida. Mais rares sont les familles qui n'ont pas eu à
le côtoyer: le cancer demeure, plus que jamais en cette fin de siècle,
au centre de nos vies, et frappe sans discrimination, sans qu'on sache si
la lumière luit enfin au bout du tunnel.
Et pourtant, tous veulent croire qu'il y a de l'espoir. Surtout dans des
périodes qui semblent fastes pour la recherche, comme ce mois-ci:
au cours des 10 derniers jours, pas moins de quatre études, venues
de directions totalement différentes, ont fait naître l'espoir
de temps meilleurs.
Un nouveau vaccin semble prometteur pour combattre le cancer des ovaires,
dit la première étude; la vitamine E semble réduire
les risques de cancer de la prostate, dit la deuxième; et un vaccin
pourrait combattre le même cancer de la prostate, dit la troisième.
Mais ce sont les résultats de la quatrième étude
qui apparaissent les plus surprenants aux profanes, parce qu'ils vont complètement
à l'encontre de tout ce qu'on nous a habitués à croire:
le nombre de nouveaux cancers diminue dans la population américaine
depuis cinq ans. Entre 1990 et 1995, l'incidence de tous les types de cancer
étudiés (23 en tout) connaît une baisse moyenne de 0,7
% par année... alors qu'entre 1973 et 1990, on parlait plutôt
d'une hausse de 1,2 % par année!
Le nombre de décès est également en baisse, de 0,5
% par année, contre une hausse de 0,4 % par année entre 1973
et 1990.
Ces chiffres proviennent d'une étude conjointe de la Société
américaine du cancer, de l'Institut national du cancer et du Centre
national de contrôle des maladies, et
font l'objet d'une analyse étoffée dans la dernière
édition de la revue spécialisée Cancer.
Qui plus est, hommes et femmes semblent touchés à parts
égales, à l'exception des hommes de race noire.
Des données préliminaires laissent croire que la tendance
s'est poursuivie en 1996.
"Les principaux cancers contribuant à ce renversement de
tendance sont le cancer du poumon chez les hommes, les cancers de la prostate
et colo-rectal chez les hommes et les femmes", écrit Phyllis
Wingo, de la Société américaine du cancer, l'une des
auteures de l'étude. Chez les femmes, le cancer du sein, auparavant
en hausse de 1,8 % par année, est resté stable entre 1990
et 1995.
Dans certains cas, on avance que les campagnes de prévention porteraient
enfin fruit. La diminution de l'usage du tabac serait également un
facteur. Mais les chercheurs s'entendent pour dire que cela ne suffit pas
à expliquer une tendance à la baisse chez autant de types
de cancers. C'est pourquoi ces données doivent être considérées
avec prudence.
Vaccin contre le cancer des ovaires?
Il en est de même de l'étude
qui proclame qu'un nouveau vaccin expérimenté à Philadelphie
pourrait combattre plus efficacement que les autres traitements le cancer
des ovaires, à condition que celui-ci soit détecté
à temps. Les résultats de l'étude sur ce vaccin, préparé
avec des cellules saines de la patiente elle-même, sont encourageants,
mais doivent eux aussi être considérés avec prudence,
en attendant qu'ils soient vérifiés par au moins une autre
étude: pour l'instant, avec seulement quelques années de tests
derrière eux, les chercheurson peuvent parler d'une prolongation
de l'espérance de vie des femmes, mais il est trop tôt pour
parler de guérison.
Aux Etats-Unis, le cancer des ovaires frappe chaque année 20 000
femmes. Pour l'instant, les traitements couramment utilisés sont
la chirurgie -l'ablation des ovaires- et la chimiothérapie. A peine
moins de la moitié des victimes survivent plus de cinq ans au diagnostic.
Contre contre le cancer de la prostate?
Même principe pour le nouveau vaccin contre le cancer de la prostate
dont on a annoncé les premiers succès en fin de semaine: le
vaccin est fabriqué à partir des cellules du patient, de façon
à stimuler son système immunitaire pour l'envoyer en guerre
contre l'agresseur. Même principe, et même prudence: bien que
les premiers résultats soient prometteurs, en particulier chez ceux
dont la famille présente une "histoire" propice au cancer
de la prostate, il reste à voir si le vaccin est efficace à
tous les stades de développement du mal, le deuxième plus
important cancer chez les Américains, responsable de 39 000 décès
en 1997.
Ces
résultats ont été annoncés dans le cadre du
congrès de la Société américaine du cancer,
qui avait lieu en fin de semaine en Californie, en même temps que
les résultats d'un test de dépistage génétique
qui pourrait devenir un signal d'alarme d'un cancer en train de se propager.
Vitamine E contre cancer de la prostate?
Enfin, la dernière étude présente une association
inattendue: des
doses quotidiennes de vitamine E contribueraient à réduire
du tiers les risques de cancer de la prostate, et du quart le taux de décès.
"Cette étude nous donne pour la première fois un tout
petit espoir réel que quelque chose d'aussi simple qu'un supplément
vitaminique puisse prévenir le cancer de la prostate", a déclaré
le co-auteur, le Dr Demetrius Albanes, publié dans le Journal
of the National Cancer Institute. Ce "supplément" pourrait
en fait tuer dans l'oeuf les tumeurs, avant qu'elle ne se transforment en
cancer.
L'étude a été menée auprès de quelque
30 000 Finlandais, des fumeurs âgés de 50 à 69 ans,
pendant cinq à huit ans. L'étude a en même temps permis
d'établir que la vitamine A, elle, semblait inefficace contre le
cancer. Quel est l'agent présent dans la E, mais pas la A -deux antioxydants-
demeure un mystère, et il faudra également mener une autre
étude, auprès de fumeurs celle-là. Par ailleurs, l'usage
quotidien de vitamine E s'est révélé ne pas être
sans risques: 66 personnes sont décédées d'une hémorragie
cérébrale, contre 44 dans le groupe-témoin (ceux qui
ne prenaient pas de vitamine E). La vitamine E serait réputée
avoir un impact sur la formation de caillots de sang.
Vous trouvez tout cela compliqué? Ne vous en faites pas: les médecins
aussi!
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