Norman Mailer, romancier, journaliste, essayiste, biographe, poète, metteur en scène, scénariste, acteur de cinéma à l'occasion, chantre de la contre-culture américaine des années ‘50 et ‘60 et auteur d'une quarantaine d'ouvrages, est décédé le 10 novembre dernier à l’âge de 84 ans, des suites d’une insuffisance rénale. Longtemps considéré comme l'enfant terrible de la littérature américaine, il a dominé la scène intellectuelle de son pays pendant toute la deuxième moitié du XXe siècle. Aux côtés de Truman Capote, Joan Didion, et Tom Wolfe, Mailer est considéré comme un innovateur du reportage de fiction, un genre appelé quelquefois Nouveau Journalisme, qui se rattache autant à l’essai qu’au documentaire romancé.

 

Mailer est connu pour ses écrits percutants et controversés (Un rêve américain, Le Chant du Bourreau, et tout dernièrement, Un château en forêt). Mais il a également écrit un livre un peu oublié qui constitue l’un des premiers récits de reportage sur l’épopée lunaire américaine dans Bivouac sur la Lune (1970). Engagé par Life Magazine pour couvrir le vol d’Apollo 11, Mailer se rendit à Houston et à Cap Kennedy pour y observer le lancement proprement dit de la mission mais aussi le corps des astronautes et l’environnement de la NASA. Diplômé en ingénierie aéronautique de Harvard, Mailer était idéalement qualifié pour apprécier les exploits technologiques de l’équipe de Von Braun. Mais disciple de la contre-culture, son livre est à la fois le récit du voyage à la Lune des astronautes wasp de la petite bourgeoisie américaine que celui de son voyage intérieur.

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En effet, le protagoniste de l’ouvrage, un doppelgänger de lui-même qu’il nomme Verseau (ou adepte de l’Âge du Verseau) n’est pas hostile mais ambivalente. Il déplore le pragmatisme corporatif de la NASA et la grisaille psychologique des acteurs de cette aventure mais il reconnaît que les astronautes ont leur propre forme de courage, « des hommes qui sont tout à la fois des techniciens et des héros, des robots et des saints, des aventuriers et des rouages dans la machine ». (Par exemple, Armstrong lui semble être dépourvu de tout charisme et il ignore délibérément l’opinion de Slayton sur le caractère du pilote. Il invente même des arguments sur les raisons ayant motivé sa sélection pour le vol lunaire.) Il désespère néanmoins quand la technologie force le miraculeux et le romantisme à laisser la place à un héroïsme de comptable. Dans ce qui semble être le thème principal du livre, il contemple la « psychologie des machines » et la signification que cette technologie apporte à l’humanité sur le plan métaphysique.

 

Bivouac sur la Lune est un livre inégal, plein d’intuitions sur l’avenir de la NASA (par exemple, sur le conformisme de sa culture organisationnelle) et de réflexions philosophiques sur la signification du vol spatial et la tentative faustienne de conquérir l’impossible. On y rencontre des considérations sur les heurs et malheurs de 1969 (comme Woodstock, Chappaquiddick et les meurtres liés à Sharon Tate), et des réflexions intérieures sur ses propres déboires, comme son quatrième divorce, de même que de longs extraits d’échanges techniques entre les astronautes et la mission de contrôle et des explications concernant des notions scientifiques.

 

Mais c’est probablement dans ses confessions et à travers son égo dont il lui est toujours difficile de s’abstraire, que le livre brille. À travers ses interrogations, Mailer le sceptique en vient à accepter le triomphe de la technologie et l’héroïsme patient et acharné des gens de la NASA. Il reconnaît que, malgré ses réserves vis-à-vis cette aventure, il regrette, comme bien d’autres, de ne pas être dans le petit habitacle qui conduira Aldrin, Collins et Armstrong à la Lune.

 

L’ouvrage de Mailer n’est certes pas le meilleur livre sur la course à la Lune. Il est trop décousu, manque de cohérence et de profondeur pour être d’une véritable utilité comme témoignage. Ainsi, il n’a pas profité d’entrevues avec les principaux acteurs d’Apollo, n’ayant échangé qu’une seule phrase avec l’ingénieur en chef du projet, Werner Von Braun. Son analyse de la psychologie des astronautes ne provient pas de conversations directes mais littéralement d’une tentative de création de personnage, qui tient plus du romancier que du journaliste. D’autre part, la prose de Mailer est plus proche d’un style journalistique que de ses ouvrages plus travaillés.

 

Notons que l’odyssée spatiale a inspiré d’autres écrivains de littérature générale, tel James Michener dans La Course aux étoiles (1982) et Tom Wolfe avec L’étoffe des héros (1979). Mais c’est tout de même dommage qu’une telle aventure n’aie pas inspiré plus d’auteurs. Peut-être parce que ce rêve millénaire était trop intimement associé à la science-fiction, les écrivains de littérature générale ont dédaigné les richesses d’évocation d’un tel exploit. Pourtant, les documentaires, les romans et les films (songeons justement à Apollo 13) nous ont bien montré que les péripéties ayant marqué la conquête spatiale étaient dignes des plus grandes épopées littéraires.

 

Nous reparlerons certainement de littérature et de science car il me semble que les œuvres de Wolfe et de Mailer comblent en partie ce fossé entre les deux cultures, entre les humanités et les sciences. Elles tentent de faire comprendre que la technologie et la science ont un impact bien plus profond que les changements superficiels auxquels le progrès technologique nous a habitué. Et surtout que la science peut être, comme n’importe quelle autre activité humaine, le support d’une Littérature (avec un grand L) et l’objet d’une œuvre littéraire et artistique.

 

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