Mon billet précédent portait sur les rapports entre la science et la littérature, avec l’exemple de l’œuvre de Norman Mailer. Mais le théâtre a également su exploiter le potentiel dramatique que comportent la recherche scientifique et le développement des nouvelles technologies, notamment depuis une vingtaine d’années, avec des auteurs comme Michael Frayn, Tom Stoppard, et plus près de nous, des auteur canadiens comme John Mighton.

Stoppard a écrit des pièces comme Arcadia et Hapgood , qui mélangent les thèmes de la mécanique quantique et de l’espionnage, ou qui explorent les relations entre la thermodynamique et le jardinage ou entre les mathématiques et la littérature. Michael Frayn, quant à lui, est connu pour l’excellente pièce Copenhague , basée sur la rencontre de 1941 entre les physiciens Niels Bohr et Werner Heisenberg, dans la ville de Copenhague (et qui fait référence par la bande au consensus de Copenhague sur l’interprétation de la mécanique quantique). Frayn se sert, non seulement, du principe d’incertitude de Heisenberg comme thématique mais également dans sa technique narrative.

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Si j’ai choisi de parler de théâtre dans ce billet, c’est surtout pour souligner la création à Montréal de deux pièces de John Mighton, dont Les mondes possibles , une production du Théâtre de Quat’Sous au Théâtre Prospéro, du 8 janvier au 2 février 2008, et Half Life , en spectacle du 29 janvier au 24 février 2008 au Théâtre Centaur.

John Mighton est titulaire d’un doctorat en mathématiques de l’Université de Toronto et a été professeur de philosophie à l’Université McMaster. Actuellement, il est professeur adjoint à l’Université de Toronto. Mais c’est également un dramaturge lauréat, dont les pièces sont jouées dans le monde entier, en particulier Scientific American, Possible Worlds, A Short History of Night, Body and Soul, The Little Years et Half Life.

Mighton, dans une entrevue récente, affirmait lui aussi que le théâtre peut servir les intérêts de la science :

« Il fut un temps où le théâtre, même davantage que les mathématiques ou la science, était un moyen pour la société de faire l’expérience de la religiosité et du sublime que décrit Einstein. Aujourd’hui, certains signes dans l’œuvre d’artistes du monde entier laissent penser que le théâtre pourrait retrouver quelque chose de son ancien rôle, mais seulement si l’on veut faire plus que monter des pièces divertissantes ou illustratives : il faut utiliser les ressources du théâtre comme on le faisait autrefois, pour découvrir et représenter de nouvelles idées sur la nature humaine, sur notre rôle dans le monde et sur les moyens que nous utilisons pour explorer et communiquer ces idées. »

La pièce Les mondes possibles explore la théorie découlant de la mécanique quantique de Hugh Everett sur l’infinité des mondes possibles, tous évoluant en parallèle. (Vous trouverez d’ailleurs un excellent article sur le sujet dans le numéro de décembre 2007 du Scientific American).

Notons que la pièce de Mighton a été portée à l’écran par le réalisateur renommé Robert Lepage. (Toujours au cinéma, je vous propose également la version téléfilm de Copenhagen ainsi que Enigma , un film basé sur les équipes de décrypteurs britanniques lors de la seconde guerre mondiale. Aussi, le film La Preuve est basé sur une pièce de théâtre).

D’autres pièces de théâtre, mises en scène dernièrement, ont exploité les possibilités dramatiques (ou comiques) de la science, ou de la science-fiction. Par exemple, avec On n'a pas toute la soirée, une pièce écologico-apocalyptique présentée par le Théâtre catastrophe à l'Espace Libre en septembre dernier, et Alpha du Centaure , par la compagnie Orbite gauche.

En ce moment, à New York, une pièce du dramaturge lauréat Aaron Sorkin met en scène la naissance de la télévision avec The Farnsworth Invention . On y raconte la bataille entre l’inventeur de génie âgé seulement de 22 ans, Philo Farnsworth, et un magnat de l’industrie, David Sarnoff, qui désire mettre la main sur un média dont il sent déjà tout le potentiel. Les deux hommes peuvent être considérés comme les pères de la télévision : Farnsworth, dans son laboratoire de San Francisco, qui fut le premier à transmettre une image animée, et Sarnoff, sur la côte Est, qui exploita cette technologie pour en faire un phénomène culturel et commercial.

Sur le même thème de l’exploitation de la science, on se rappellera d’ailleurs le succès répété qu’avait remporté à Montréal la présentation de la pièce Les Palmes de Monsieur Schutz .

Les succès rencontrés par ces spectacles suggèrent que le public apprécie les efforts des dramaturges pour illustrer le travail de la science dans notre imaginaire. C’est donc d’autant plus dommage lorsqu’on coupe les subventions à une petite troupe comme celle du Théâtre du Petit Chaplin, qui se spécialise dans la vulgarisation scientifique pour jeune public. Car c’est à la fois gâcher le plaisir ludique du théâtre et de la découverte aux jeunes et se priver plus tard d’une clientèle ouverte aux arts et à la science.

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