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Des jumeaux peuvent-ils avoir deux pères différents? Le Détecteur de rumeurs a vérifié si cette apparente légende urbaine avait des fondements scientifiques.


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Les origines de la rumeur

Dans la mythologie grecque, il est question de jumeaux nés de pères différents. C’est entre autres le cas des enfants de Léda, reine de Sparte. Celle-ci aurait été séduite par le plus grand des dieux, Zeus, alors qu’il était sous la forme d’un cygne. Parce qu’elle aurait partagé, la même nuit, le lit de son époux, Tyndare, elle aurait ensuite donné naissance à deux couples de jumeaux, soit quatre enfants en tout, un couple pour chaque père. 

Même si les cas humains sont plus simples, des cas étranges ont bel et bien obligé des médecins à réfléchir à cette possibilité. Dans un article publié en 2015, un chercheur polonais écrivait que le premier cas signalé par la médecine moderne remonte au début du 18e siècle. Il s’agissait de jumeaux d’apparences ethniques différentes dont la mère aurait reconnu avoir eu des relations avec un homme blanc et un homme noir à l’époque de leur conception. C’est un cas similaire qui est rapporté par un médecin américain dans un article scientifique de 1810. Plus récemment, dans un article publié en 1921, un médecin de Philadelphie citait plusieurs cas du genre et faisait même référence à des triplets nés de trois pères différents. 

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Le phénomène a surgi dans la télésérie Friends. Le personnage de Joey, un acteur, affirmait jouer le rôle d’un médecin qui était le père d’un des deux jumeaux dont il allait procéder à l’accouchement.

Théoriquement possible

Comme le rappelle l’Encyclopédie Britannica, la conception de jumeaux non identiques, aussi appelés dizygotes, a lieu lorsque deux ovules sont libérés simultanément par les ovaires et qu’ils sont ensuite fécondés par deux spermatozoïdes distincts. Serait-il théoriquement possible que ces deux spermatozoïdes proviennent de deux hommes différents?

Dans un article publié en 2019 et analysant un cas de jumeaux nés de pères différents, les trois auteurs expliquaient qu’après l’ovulation, la fertilisation peut se faire sur une période de 12 à 48 heures. De plus, les spermatozoïdes peuvent survivre 7 à 14 jours dans l’appareil reproducteur féminin. Par conséquent, si une femme a des relations sexuelles avec deux hommes pendant ce court laps de temps, elle pourrait concevoir des jumeaux qui ont des pères différents. Le phénomène porte le nom de superfécondation hétéropaternelle.

Dans un autre article publié en 2020 par des chercheurs colombiens et qui se penchait sur un autre cas de jumeaux conçus avec des pères différents, les auteurs avaient observé un important écart de poids à la naissance entre les deux enfants. Selon eux, cela serait attribuable à la différence d’âge gestationnel causée par le délai entre les deux fécondations.

Comment le prouver scientifiquement?

À partir des années 1970, il devient possible aux scientifiques de ne plus se contenter d’observations visuelles —l’apparence des bébés— et de confirmer, grâce à des prises de sang, que des jumeaux ont des pères différents. Par exemple, il est possible de comparer les groupes sanguins ABO entre les enfants et les pères allégués, expliquait en 1993 un chercheur britannique dans un article qui s’intéressait à la fréquence de la double paternité dans la population. 

Dès 1978, des chercheurs avaient publié dans le New England Journal of Medicine un article où ils expliquaient comment des analyses sanguines —plus précisément, le « typage des antigènes d’histocompatibilité »— leur avaient permis d’identifier des jumeaux ayant deux pères différents. Il s’agit du même test utilisé pour assurer la compatibilité entre le receveur et le donneur, lors d’une greffe d’organes.

À partir de la fin des années 1990, les scientifiques utilisent plutôt des tests d’ADN. La technique est décrite notamment en 1997 et en 2008. En 2021, des scientifiques chinois ont même pu confirmer la double paternité pendant la grossesse, chez des jumeaux de 10 semaines. Ils ont utilisé pour cela une méthode non invasive permettant de prélever l’ADN fœtal dans le plasma de la mère.

Résultat, entre 1978 et 2021, ce sont quelque 20 cas qui ont été documentés dans des articles scientifiques, selon la recension effectuée en 2021 par deux chercheurs américains qui ont eux-mêmes documenté un exemple de superfécondation hétéropaternelle. Bien souvent, il s’agit de situations qui sont analysées dans le cadre de tests pour établir la paternité. 

Dans un article publié en 2023, des archéologues affirment même avoir identifié un cas datant de l’Âge du bronze. En analysant l’ADN de deux bébés âgés de moins de deux mois, qui ont été enterrés ensemble au 16e ou au 17e siècle avant notre ère, là où est aujourd’hui l’Arménie, les chercheurs ont conclu qu’il s’agissait probablement de jumelles nées de pères différents. 

Un phénomène rare

Reste qu’il s’agit de cas exceptionnels. En 1992, des chercheurs du Maryland écrivaient qu’à partir de 39 000 tests de paternité, ils avaient identifié seulement 3 cas de jumeaux de pères différents. En tenant compte uniquement des tests réalisés chez des jumeaux non identiques, ils ont estimé que la fréquence de la double paternité chez eux était de 2,4 %. En 2018, des chercheurs chinois ont rapporté que sur 78 cas de recherche de paternité impliquant des jumeaux, ils n’avaient observé qu’un seul cas de double paternité (soit 1,3 %).

Ces résultats pourraient même surestimer le véritable phénomène, parce qu’ils proviennent de tests de paternité, donc des analyses faites en général parce qu’il existe des doutes sur la paternité des enfants. En 1993, le chercheur britannique qui s’intéressait à la fréquence de la double paternité dans la population en général, a estimé que seulement une paire de jumeaux non identiques sur 400 aurait des pères différents. Cette fréquence reste cependant théorique puisqu’elle n’est basée que sur un calcul de probabilité et non pas sur la recension de cas réels.

Verdict

Des jumeaux non identiques peuvent bel et bien être nés de deux pères différents. Il s’agit toutefois d’un phénomène très rare, dont l’occurrence exacte reste à déterminer. 

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