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Vous avez lu Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro, la dernière sélection de notre club littéraire scientifique? Comparez la lecture que vous en avez faite avec l’analyse de notre expert. Jean-François répondra aussi à vos questions, réagira à vos commentaires sur ce billet jusqu'à ce vendredi ! (le billet original est ici)

Je dirais d’abord, pour faire écho à un commentaire, que depuis toujours la présence des robots, des automates, des êtres artificiels a consisté à obliger l’être humain à se définir. À remettre en question sa propre conception. Les définitions (il faut mettre le mot au pluriel) ont changé au fil des siècles et, par le fait même, l’imaginaire de l’automate s’est aussi modifié.

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Pour « créer un être à son image », il faut connaître son image. Le jour où on décide qu’un ordinateur peut être un « cerveau », à l’image de celui d’un humain, on décide d’une double réduction : d’abord qu’un humain se réduit à son intelligence (ça n’a pas toujours été le cas) et surtout que l’intelligence elle-même peut se définir comme la capacité à faire rapidement une série de calculs. C’est discutable!

Pour en venir au roman, je dirais qu’un des intérêts tient à la ligne très mince qui sépare le clone de l’humain chez Ishiguro, bien plus mince que dans le texte de Philip Dick d’où a été tiré le film Blade Runner, même si dans les deux cas il s’agit de clones semblables physiquement aux membres de notre espèce.

J’ai l’habitude de comparer le roman d’Ishiguro à celui de Houellebecq, Les Particules élémentaires, pour en même temps mieux les opposer. Là où Houellebecq fait dans l’hyperbole, Ishiguro fait dans la litote. On pourrait parler de cette uchronie comme d’un anti-roman policier : il y a toujours un mystère qui enveloppe les événements, mais quand une information importante survient, elle est en quelque sorte attendue.

Comme toujours chez Ishiguro (sauf dans L’inconsolé), la narration se développe par petites touches, par nuances, et laisse souvent le lecteur dans l’ambiguïté. On pourrait parler longuement des quelques pages où peu de choses sont dites sur la science, le développement des clones, la fermeture d’Hailsham, etc. Elles ouvrent la voie à toute une réflexion qui a des effets sur l’ensemble de la narration et je pourrais personnellement écrire là-dessus pendant des pages et des pages (ça viendra : j’ai un livre en préparation où ce roman prendra une place certaine!). La comparaison avec le roman de Houellebecq m’apparaît aussi intéressante pour une autre raison. Dans un des commentaires, on soulignait la pauvreté de la langue de la narratrice. On peut préférer les narrations plus baroques et plus flamboyantes, nous sommes dans les choix esthétiques à ce moment. Mais je voulais souligner qu’il s’agit aussi d’une des critiques les plus constantes proposées des Particules élémentaires. Or, dans les deux cas, il s’agit d’un clone qui prend la parole, et dans les deux cas on l’apprend tard dans la narration. La différence entre le clone et l’humain se joue justement aussi dans la langue, dans la difficulté à exposer des émotions et des sentiments forts. Il y a une retenue dans la narration, une distance réelle. Mais cette distance, on peut aussi la voir comme une « distance ontologique », comme une difficulté à pénétrer vraiment le monde humain.

Et pour ce qui est du film, je l’ai profondément détesté. Mais c’est une autre histoire…

Jean-François Chassay

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