journauxordi.jpg
Autant les journalistes que les scientifiques blogueurs —souvent frères ennemis— ont de quoi se sentir indignés par la NASA qui a « snobé » les blogueurs la semaine dernière. Voilà au moins un point qu’ils ont en commun. Mais pas pour les mêmes raisons.

Un rappel. Des chercheurs de la NASA publient le 2 décembre dans Science, une revue qui ne publie que des textes révisés par les pairs, un article décrivant une spectaculaire bactérie qui aurait incorporé de l’arsenic dans son code génétique. Dans les jours qui suivent, des scientifiques blogueurs descendent en flammes la recherche. Réplique de la NASA : toute critique, pour être légitime, devrait passer par la révision par les pairs, et non par les blogues.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Vraiment pas la bonne façon de se faire des amis.

Journalistes et scientifiques, donc, sont sur la même page là-dessus. Mais ils ne se comprennent pas mieux qu'avant.

Cela ne saute pas aux yeux des scientifiques, mais la « révision par les pairs » est une des choses les plus mal connues des journalistes —à l’exception des journalistes spécialisés en science. Pensez climategate : un chercheur, dans un accès d’impatience, écrit un mot plus haut que l’autre dans un courriel. Et des journalistes se mettent du coup à douter de la solidité de toute la climatologie. Pourquoi cela? Parce qu’ils ont été formés à toujours présenter « le pour » et « le contre » : une « opinion » en vaut bien une autre, alors par souci d’équité, présentons les deux sur un pied d’égalité.

Or, aux deux ou trois amis journalistes qui lisent ceci, l’occasion est bonne pour rappeler pourquoi la science fonctionne différemment (les deux ou trois étudiants en science qui lisent ceci peuvent sauter tout de suite à « Retour à la bactérie »).

Explication pour les non-scientifiques

Des chercheurs accumulent des données pendant des mois, voire des années. Ils accouchent d’une étude, qu’ils soumettent, par exemple, à Nature, qui la fait lire par un comité d’experts (c’est le processus de révision par les pairs). Si la recherche est acceptée (dans certaines revues, à peine 10% le sont), une fois parue, elle sera décortiquée par d’autres chercheurs. Certains y découvriront des failles majeures et renverseront la première étude. Ou bien ils découvriront des éléments nouveaux, produisant ainsi une nouvelle recherche qui sera soumise à un nouveau processus de révision. Et c’est ainsi que, pierre par pierre, sur chaque sujet, se construit un corpus scientifique de plus en plus solide.

Le processus a deux défauts : ça prend du temps, et les réviseurs, dans des revues comme Science, sont anonymes. C’est la raison pour laquelle plusieurs groupes, depuis une dizaine d’années, profitent d’Internet pour expérimenter des formes de révision par les pairs plus « ouvertes ». Dans le livre Science! on blogue, nous écrivions en 2007 :

Une révision par les pairs ouverte (open peer review). Un genre de forum auquel sont conviés les abonnés de la revue, ainsi qu’un petit nombre d’experts, sous supervision. Chez Electronic Transactions on Artificial Intelligence dès 2001 par exemple, ou chez Atmospherics Chemistry and Physics depuis 2005, un article soumis pour publication est d’abord filtré par un représentant de la revue, puis rapidement mis en ligne, où les lecteurs sont conviés à en discuter. La revue Nature se risquait à son tour à mener cette expérience en 2006. (...)

Franchissant un pas de plus, le navire-amiral de l’accès gratuit à la recherche, l’éditeur Public Library of Science (PLoS) a lancé en décembre 2006, PLoS ONE : les articles proposés sont d’abord filtrés par un membre du comité de rédaction, avant d’être mis en ligne.

Retour à la bactérie (ou : ne pas balancer « l’ancien monde » trop vite)

Dans la contestation de la « bactérie à l’arsenic », c’est ce à quoi nous avons eu droit : une stimulante révision par les pairs « ouverte », via les blogues. Comme je l’écrivais ici, une microbiologiste, un biogéochimiste et d’autres (dont un des meilleurs journalistes scientifiques des États-Unis) ont écrit tout le mal qu’ils pensent de la recherche, sur la base d’arguments qui, aux yeux du profane, semblent solides.

Mais qu’arriverait-il si le sujet, au lieu d’être une forme de vie bizarre pour laquelle il n’existe pour l’instant qu’une seule recherche, était le réchauffement climatique et qu’un des universitaires payés par l’industrie (dont on a parlé cette semaine) donnait son opinion avec des arguments en apparence aussi solides? Les microbiologistes et autres géochimistes mettraient tout de suite sa crédibilité en doute, mais bien des journalistes et autres défenseurs de la blogosphère n’y verraient qu’un sympathique « outsider » s’attaquant au vilain « establishment ».

Une blogueuse, justement, qui écrit depuis des années sous le pseudonyme de Dr Isis, raconte cette semaine cette anecdote :

Il y a quelques mois, j’ai lu un article dans mon domaine qui utilisait une technique que je croyais être inappropriée. J’ai marché autour du laboratoire et brandi l’article en face de quiconque voulait bien écouter mes complaintes. Puis j’ai appelé un de mes collègues : « as-tu vu les stupidités qui viennent d’être publiées dans le Journal génial? Quel réviseur imbécile a pu laisser passer ça? » Il est alors devenu clair, bien qu’il ne l’ait jamais admis, qu’il était un de ces réviseurs imbéciles. Ce qui m’a encore plus choquée. « Ça suffit. J’en ai assez. Je vais écrire une lettre à l’éditeur! » Il m’a répondu : « si tu crois vraiment qu’ils ont tort, fais l’étude ».

J’ai fait l’étude. C’était génial. Et mes découvertes vont répondre à cet article, avec bien plus de poids qu’une lettre à l’éditeur.

C’est un beau dilemme, n’est-ce pas? À l’heure de l’instantanéité, tout le monde est d’accord pour dire que la blogosphère devra nécessairement jouer un rôle dans la révision par les pairs. Mais pas n’importe comment parce que —les journalistes scientifiques, là-dessus, pourraient faire profiter les blogueurs de leur expérience— si vous ouvrez la porte au n’importe comment, vous aurez n’importe quoi.

Je donne