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Je l'avoue : je suis un peu en retard avec ma manchette de cette semaine. Non, ce n'est pas par paresse. Je voulais prendre le temps de voir et d'analyser les reportages présentés à la télévision sur l'utilisation des antibiotiques dans l'élevage des poulets au Canada.

Les chercheurs de l'émission « L'épicerie », de la télévision de Radio-Canada, et leurs confrères de « Marketplace », la chaîne anglaise, ont acheté 100 échantillons de poulets un peu partout au Canada et les ont fait analyser par un laboratoire spécialisé. Les résultats (L'Épicerie) ont démontré que les deux tiers des poulets contenaient des bactéries. Ce qui n'est pas surprenant, car des bactéries pathogènes telles que la salmonelle, la campylobacter ou l' E.coli sont souvent présentes dans la chair de poulets frais. Mais ce qui était plus inquiétant, c'est que toutes ces bactéries étaient résistantes à au moins un antibiotique utilisé en médecine et que certaines étaient résistantes à six, sept ou huit antibiotiques différents.

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Depuis l'introduction des antibiotiques au milieu du siècle dernier, le problème de résistance n'a pas cessé de se développer. Parmi les raisons principales, on compte l'utilisation inadéquate des antibiotiques par l'humain, tant de la part des médecins – qui, par exemple, prescrivent des antibiotiques «… à titre préventif » – que de la part des patients, qui ne respectent pas les protocoles de traitement.

Quant à moi, je partage l'avis de nombreux scientifiques qui placent une grande part de faute sur l'industrie alimentaire pour son utilisation inappropriée des antibiotiques. En effet, on estime qu'en Amérique du Nord, entre 50 et 70 pour cent des antibiotiques ne sont pas utilisés pour guérir des infections chez l'humain, mais plutôt pour des raisons économiques, dans la production de bœuf, de porc ou de volaille*. Ces antibiotiques sont administrés aux animaux en l'absence de maladie, pour deux raisons principales. Tout d'abord, à titre préventif, pour réduire la mortalité inhérente aux conditions d'élevage industriel; ensuite, pour accélérer la mise en marché. Lorsque les animaux sont traités avec des doses subthérapeutiques d'antibiotiques dits « de croissance », ils se développent plus rapidement et demandent moins de nourriture. L'explication est que ces petites doses d'antibiotiques contrôlent la flore intestinale chez l'animal pour ne laisser que les bactéries qui facilitent l'absorption efficace de la nourriture.

Dans le cas des poulets, il s'agit entre autres de l'amoxicilline et de l'érythromycine, des antibiotiques qui sont aussi utilisés en médecine. L'inquiétude à ce sujet n'est pas associée à la présence de résidus dans la volaille. L'administration des antibiotiques est arrêtée assez longtemps avant l'abatage pour prévenir cette éventualité. Ce qui inquiète nombre de spécialistes est justement le fait que les bactéries exposées aux antibiotiques deviennent résistantes. Une fois dans la chaîne alimentaire, ces bactéries risquent, à la suite d'une cuisson insuffisante ou d'une contamination croisée durant la préparation, de causer des empoisonnements alimentaires qui ne répondront pas aux traitements avec les antibiotiques courants.

Un antibiotique, le ceftioflur, est particulièrement montré du doigt. Bien que le ceftioflur soit seulement utilisé dans la médecine vétérinaire, il fait partie de la famille des céphalosporines, une variété qui traite des infections qui ne répondent plus aux antibiotiques classiques. Or, d'après les données du PICRA (Programme intégré de la surveillance aux antimicrobiens), une division de l'Agence de la santé publique du Canada, il y a de très fortes indications que la résistance des humains aux céphalosporines augmente parallèlement à son utilisation dans la production de volaille.

L'argument mis de l'avant par l'industrie pour justifier son utilisation des antibiotiques à titre préventif est que cela réduit les taux de mortalité. Mais ces taux de mortalité, qui peuvent atteindre 20 pour cent, proviennent surtout des conditions de surpopulations dans lesquelles les poulets sont élevés. Ils sont entassés avec des concentrations de 20 à 25 poulets au mètre carré et élevés dans leurs excréments.** Il est possible de produire de la volaille sans utiliser des antibiotiques. Cela demande entre autres de ramener le nombre d'oiseaux à 15 poulets au mètre carré, mais aussi de contrôler leur litière. D'après l'industrie, ces mesures vont augmenter les coûts de production. Mais je pense que le public serait prêt à l'assumer, d’autant plus que le pourcentage de notre revenu familial accordé à l'alimentation, de l'ordre de 12 pour cent, est, avec celui des États-Unis, le plus bas au monde. Il est à noter que, depuis 2006, l'Europe interdit l'utilisation d'antibiotiques comme facteur de croissance sans qu'il y ait eu une «… révolte des consommateurs ». Il est vrai que les Européens, échaudés par des crises comme celle de la vache folle, sont beaucoup plus intéressés par l'aspect sanitaire de leur nourriture.

Les bactéries, qu'elles soient résistantes ou non aux antibiotiques, sont détruites à la cuisson. C'est pourquoi il est important de cuire le poulet jusqu'à une température interne d'au moins 65 0C. Mais c'est souvent en dehors de l'assiette que se fait la transmission des bactéries de la volaille à l'humain. Il est important de séparer, tant qu'il n'est pas cuit, le poulet de tous les autres aliments et de laver à l'eau et au savon tout ce qui aurait pu être en contact avec l'animal. Il y une précaution essentielle, qui malheureusement est souvent négligée, surtout au temps des barbecues. Il ne faut jamais remettre le poulet une fois cuit dans le plat où il se trouvait avant la cuisson.

Antibiotiques, œufs de poulets et superbactéries

Dans le reportage de « L'épicerie », j'ai été surpris d'apprendre que des échantillons provenant de poulets « élevés sans antibiotiques » contenaient aussi des bactéries résistantes à certains antibiotiques. Le producteur, qui paraissait de bonne foi, était tout aussi surpris. Il a suggéré que, bien que lui élevait les poules sans antibiotiques, celles-ci auraient pu être contaminées « en amont ». En effet, en pratique, les poulets se développent chez l'éleveur à partir de « poussins d'un jour ». Ce sont des poussins âgés de 24 heures à quelques jours, produits en masse par des « accouveurs » qui les livrent aux éleveurs. Or, il semble que la pratique soit courante d'injecter à l'aide de robots, à titre préventif, un antibiotique tel que le ceftioflur directement dans l'œuf avant son éclosion !

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* Au Canada, il n'y a pas de réglementation quant aux quantités et fréquences d'utilisation des antibiotiques. Ceci est laissé entièrement à la discrétion de l'éleveur.

**À ce sujet, il est édifiant de voir le film « Food Inc. » de Robert Kenner. Mais attention ! Cela risque de vous faire devenir végétarien.

- Le site de l' Organisation pour la science et la société de l'Université McGill

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