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Pour faire suite à ma chronique sur la fluoration, j’avais l’intention de poursuivre en couvrant les aspects controversés de cette pratique. Mais l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima a changé mes plans. Depuis le début de la semaine, de nombreuses questions ont été soumises à l’OSS de la part des médias, du public et de mes étudiants à McGill. Chez ces derniers, leur intérêt venait de l’un de mes cours sur l’environnement auquel ils ont assisté qui portait sur les avantages et les risques du nucléaire. Il est certain que la prochaine session comportera des révisions majeures. Ci-dessous, quelques-unes des questions qui m’ont été posées.

Q. Les réacteurs nucléaires japonais ont été, soi-disant, conçus pour résister aux tremblements de terre de l’ordre de celui survenu dans ce pays. Que s’est-il donc passé?

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En fait, les systèmes de sécurité d’urgence en cas de tremblement de terre ont bien fonctionné. Les barres de sécurité se sont déployées et ont stoppé le processus d e fission. Mais, malgré l’interruption de ce processus, la désintégration nucléaire. elle continue, émettant ainsi de grandes quantités de chaleur. C’est pourquoi il est impératif que le cœur du réacteur soit continuellement refroidi, et ce, même en l’absence de fission. À Fukushima, les génératrices d’appoint contrôlant le système de refroidissement se sont mises en route. Mais elles ont malheureusement été noyées par l’eau de mer résultant du tsunami. Bien que les concepteurs de la centrale aient déployé les mesures de protection en cas de tremblement de terre, ils n’avaient cependant pas prévu que survienne un tsunami d’une telle ampleur. Mentionnons d’ailleurs que le dernier tsunami de cette catégorie s’est produit il y a plus de 1 000 ans.

Q. Comment se compare l’accident de Fukushima à celui de Tchernobyl?

S’il est vrai que certaines similitudes ont été constatées, les différences sont telles qu’il est peu probable que l’accident de Fukushima atteigne l’ampleur de celui de Tchernobyl. À l’échelle internationale des événements nucléaires Tchernobyl est classé à la position maximale de sept (rejets radioactifs massifs), alors que Fukushima après avoir été à quatre (rejets radioactifs mineurs) est maintenant à cinq (rejets radioactifs limités). C'est le niveau constaté, en 1979, à Three Mile Island, lors d’une fusion partielle du réacteur. Quoi qu’il en soit, dans le cas de Tchernobyl et de Fukushima, la première étape a été la même. Les tubes contenant la matière fissible au cœur du réacteur sont faits à partir d’un alliage composé de zirconium. Un refroidissement inadéquat fait en sorte que ces gaines atteignent un niveau de température causant une réaction entre le zirconium et l’eau, laquelle produit de l’hydrogène. Dans les deux cas, c’est cet élément qui a explosé. Mais, une fois cette étape commune terminée, les scénarios diffèrent.

À Tchernobyl, le cœur du réacteur était fait de graphite, un élément extrêmement combustible. De plus, contrairement au réacteur de Fukushima, le réacteur de Tchernobyl n’était pas situé dans une enceinte de confinement. À Tchernobyl, au moment de l’explosion de l’hydrogène, le toit du bâtiment contenant le réacteur a été soufflé. L’air a alors pu s’insérer et entretenir le feu qui s’était déclaré dans le graphite. La chaleur dégagée a produit un nuage atteignant une hauteur de 10 000 mètres, causant ainsi la dispersion des matières radioactives sur des centaines de kilomètres. Les experts considèrent que, dans le pire des scénarios, le nuage de Fukushima ne devrait pas dépasser 500 mètres, limitant ainsi la zone dangereuse. Les habitants de Vancouver ne devraient pas non plus s’inquiéter. Soulignons également que, même dans le cas de Tchernobyl, toutes les personnes sérieusement affectées se trouvaient dans un rayon relativement restreint autour de la centrale. Quoi qu’il arrive, il est impossible qu’une explosion nucléaire se produise; la quantité de matières fissibles étant insuffisante.

Q. Des quatre réacteurs, lequel présente le plus de risques?

En ce moment, la plus grande inquiétude concerne le réacteur numéro quatre. Il était en révision au moment de l’accident. Mais les « piscines » stockant les tubes de combustible étant presque à sec, le processus de refroidissement n’a donc pas lieu, et la chaleur qui s’en échappe est à l’origine des incendies et des explosions observés. De plus - et il s’agit là d’une erreur dans la conception des réacteurs - ces « piscines » ne sont pas protégées par une enceinte de confinement et sont donc à l’air libre, libérant ainsi les éléments radioactifs dans l’atmosphère. Le contrôle du réacteur numéro quatre est une priorité pour les autorités japonaises qui tentent de maitriser la situation, en déversant de l’eau sur le site par hélicoptère.

Le réacteur numéro trois contient quant à lui un combustible qui - contrairement aux trois autres - n’est pas uniquement composé d’uranium. Le réacteur numéro trois contient un mélange d’uranium-235 et de plutonium‑239. Ce dernier, en plus du rayonnement qu’il cause, est extrêmement toxique et a une longue durée de vie.

Q. Comment peut-on minimiser les risques pour les personnes encore présentes autour du réacteur?

Tout d’abord, il est important de distinguer risque et danger. Le danger est associé à une capacité de causer un effet dommageable. Mais pour que cet effet dommageable se produise, il faut que la personne y soit exposée. Mathématiquement : risque = danger x exposition. Pour chaque habitant de la planète, les événements de Fukushima représentent un danger. Mais, pour les Montréalais, par exemple, ce risque est minime.

Par conséquent, il est prioritaire que les personnes affectées s’éloignent de la source des éléments radioactifs. C’est d’ailleurs à cette fin qu’a été délimitée une zone d’exclusion de 20 km autour des réacteurs. Cependant, cette zone pose problème, car les autorités japonaises et les autres experts ne s’entendent pas sur la superficie qu’elle devrait atteindre. Mentionnons par ailleurs que même en dehors de la zone d’exclusion, il est possible de minimiser l’exposition en demeurant à l’intérieur et en calfeutrant portes et fenêtres.

Q. Quels sont éléments radioactifs les plus à craindre et comment peut-on s’en protéger?

Il y a le césium-137, émetteur de rayons gamma très pénétrants. À l’heure actuelle, ce sont ces rayons qui peuvent mettre en danger la vie des 50 braves techniciens encore sur place. Libéré dans l’atmosphère, le césium-137 peut causer diverses formes de cancer lorsqu’il est ingéré ou inhalé. Un autre élément radioactif très dangereux est l’iode-137, qui se fixe sur la glande thyroïde. Le strontium-90 remplace quant à lui le calcium dans le corps et peut donc causer le cancer des os ainsi que la leucémie.

L’antidote au césium est le bleu de Prusse. Ce composé contient des atomes de potassium qui peuvent remplacer le césium radioactif. Il est intéressant de noter que le bleu de Prusse est le pigment utilisé par les impressionnistes. L’antidote à l’iode est la tablette d’iodure de potassium, qui contient de l’iode-127 stable capable de déplacer l’iode radioactif de la glande thyroïde.

Q. Comment les effets de la radiation sont-ils mesurés?

Il s’agit d’un processus assez complexe, qui nécessite que l’on tienne compte de multiples effets. La dose absorbée mesure la quantité d’énergie absorbée par la matière. Exprimée en gray (Gy), elle ne dépend pas du type de radiation. Quant à la dose équivalente, elle prend en compte les différents types de radioactivité sur les tissus vivants, alors que la dose efficace est en plus corrigée pour les types de tissus soumis aux rayonnements, et son unité de mesure est le sievert (Sv).

Jusqu’à présent, le niveau de radiation autour de Fukushima a atteint un pic horaire de 400 millisievert (mSv), ce qui représente environ 120 fois la quantité de radiation reçue en un an du fait du rayonnement ambiant. Le seuil de 100 mSv par an est le plus faible niveau à partir duquel une hausse du risque de développer un cancer peut être mise en évidence. Une dose unique de 1 000 mSV déclenche les symptômes de la maladie des rayons, tels que nausée et vomissements, sans toutefois être obligatoirement mortelle. Par contre, l’on constaterait - à l’intérieur d’un mois - le décès de 50 pour cent d’individus exposés à une dose unique de 4 000 mSV. C’est d’ailleurs l’ampleur du niveau d’exposition auquel les habitants d’Hiroshima ont été assujettis; lequel a ultérieurement causé le décès de nombre d’entre eux.

Q. Quelles sont les possibilités qu’un accident comme celui de Fukushima se produise au Canada?

Minimes, car la conception des réacteurs canadiens est totalement différente et, selon les experts, beaucoup plus sécuritaire. Par contre, aux États-Unis, de nombreux réacteurs ont la même configuration. C’est pourquoi certains spécialistes émettent des inquiétudes à leur sujet, particulièrement à l’égard de la fiabilité de la cuve contenant le cœur du réacteur.

Q. À la lumière des événements des derniers jours, y a-t-il encore un avenir pour le nucléaire?

Le nucléaire est responsable de 14 pour cent de la production d’électricité mondiale. Dans certains pays, ce pourcentage est largement supérieur. En France, il atteint 76 pour cent, au Japon, près de 30 pour cent, aux États-Unis, 20 pour cent et au Canada, 14 pour cent. Le Québec possède d’abondantes ressources en énergie hydroélectrique, lesquelles produisent 97 pour cent de son électricité. Pour nombre de régions du monde, les centrales thermiques au charbon représentent la solution la plus économique. Mais le charbon est une source d’énergie particulièrement « sale » (gaz à effet de serre, pollution) et dangereuse. En moyenne, près de 4 000 mineurs (surtout en Chine) meurent chaque année à l’issue d’accidents miniers. À ce sujet, je vous invite à consulter l’éditorial de Mario Roy paru dans La Presse (Mario Roy). Il y mentionne entre autres que le pire accident industriel de l’histoire est associé à la production d’énergie hydroélectrique. En 1975, l’effondrement du barrage Bianqiao en Chine a causé la mort de plus de 200 000 personnes, soit par noyade (environ 80 000 décès) ou à la suite d’épidémies et de la famine subséquentes. Il ya bien sûr l’éolien et le solaire, mais pour l’instant, ce ne sont pas des solutions de remplacement au charbon très viables, surtout en raison des coûts et des problèmes techniques.

Ce qui est certain, c’est que la renaissance annoncée du nucléaire marquera une pause. Déjà, l’Allemagne et la Chine ont imposé un moratoire. Par ailleurs, je suis certain que les États-Unis vont examiner de très près leurs vieux 23 réacteurs - du même modèle que ceux de Fukushima - et qu’ils surveilleront la centrale californienne de Diablo Canyon, située à proximité de la faille de San Andreas. Cette centrale a été construite pour résister à un tremblement de terre de magnitude sept. Celui de Fukushima était de magnitude neuf, ce qui était inattendu. Mais, comme on vient de le voir, s’il est vrai que de tels événements ne se produisent que rarement, ils ont tout de même parfois lieu.

En conclusion on peut remarquer que la crise nucléaire japonaise, qui, pour l’instant du moins, n’a pas fait de victimes, est en train d’obscurcir les répercussions du séisme et du tsunami. Ces derniers ont déjà causé la mort de près de 5 000 personnes et au moins 10 000 personnes sont toujours portées disparues.

À suivre…

_______________________________________________________________________________________________________ LES MANCHETTES SCIENTIFIQUES d’Ariel Fenster L’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill présente des capsules sur des sujets défrayant l’actualité scientifique. Plus de renseignements sur ces sujets, ou d’autres d’intérêt général, sont disponibles en communiquant avec Ariel Fenster.

Professeur Ariel Fenster Organisation pour la science et la société de l’Université McGill 514 398-2618 ariel.fenster@mcgill.ca

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