wall-street-journal.jpg
Une grosse gaffe du Wall Street Journal illustre comment nos préjugés face à la science se reflètent dans ce qui se publie. Et attention, ce n’est pas parce que les gens du Wall Street Journal sont ignorants ou « vendus ».

Au départ, il y a eu, le 27 janvier, une lettre d’opinion signée par « 16 scientifiques », disant, en gros, qu’il n’y a rien à craindre du réchauffement, que la lutte contre les gaz à effet de serre est du temps perdu, et ainsi de suite. Des scientifiques, des chroniqueurs et des blogueurs ont rapidement pointé les erreurs factuelles, les mêmes qui reviennent répétitivement dans ce type de missives (le réchauffement aurait cessé depuis 10 ans, ce qui est faux) et les tactiques douteuses habituelles : la lettre fait dire à un chercheur (William Nordhaus) quelque chose qu’il n’a jamais dit, met en scène un Nobel (argument d’autorité), et évoque une vaste conspiration du silence.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Mais la pire gifle au Wall Street Journal, celle qui me paraît la plus instructive, est qu’on apprend qu’en 2010, une lettre soulignant l’importance de s’attaquer aux changements climatiques et signée, elle, par 255 scientifiques, membres de l’Académie américaine des sciences (NAS), avait été envoyée au Journal... qui avait refusé de la publier! Alors que nous avons ici 16 scientifiques qui n’ont rien publié sur le climat depuis des lustres (voire, jamais) et qui, eux, ont droit à la tribune.

La premier réflexe pourrait être accusatoire : le vilain Wall Street Journal défend les intérêts de la vilaine industrie pétrolière.

Mais c’est trop court. Après tout, le Journal n’est pas différent des autres médias : ses éditeurs proviennent majoritairement des sciences sociales et ont un complexe d’infériorité face aux sciences. Qu’a-t-il pu se passer dans la tête de l’éditeur de la page Opinions?

  • S’il est sceptique face au réchauffement, son premier réflexe, en recevant la lettre des 255 scientifiques, aura été de n’y voir que de « vieux » arguments. Alors que cette lettre-ci contient, à ses yeux, un élément de nouveauté : ah, tiens, 16 scientifiques qui dénoncent.
  • C’est le syndrome du pour et du contre (il y a un débat, donc je donne un temps de parole égal aux deux parties) associé au complexe d’infériorité face à la science (moi je n’y connais rien, mais eux ont un doctorat, donc ils doivent sûrement être crédibles).

Et une pincée d’idéologie

Bien sûr que l’idéologie joue aussi. On a plus de chances d’être de droite si on accède à un poste d’autorité au Wall Street Journal, et cela nous rend plus sympathique aux arguments anti-intervention gouvernementale (dans ce cas-ci, une lutte contre les gaz à effet de serre). Dans son ouvrage Merchants of Doubt, Naomi Oreskes racontait qu’au fil des décennies, les médias ont constitué une étape essentielle du processus de manipulation politique par les groupes pro-tabac, pro-mercure, pro-amiante et aujourd’hui pro-carbone.

Et quel était le média américain le plus souvent ciblé par ces lobbys lorsqu’ils voulaient publier une lettre signée par de soi-disants « experts »? Le Wall Street Journal.

Ce qui est dommage, parce que s’il y a un journal où un débat rigoureux aurait pu se faire depuis une décennie sur les coûts d’une transition aux énergies renouvelables, ou sur les impacts économiques d’une hausse incontrôlée de 1 ou 2 ou 3 degrés, c’est bien un journal économique. Meilleure chance dans la prochaine décennie.

Je donne