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L’élément sur lequel trébuchent souvent les tentatives de définition du journalisme, c’est l’objectivité. Brandissant comme modèle le tandem qui a levé le scandale du Watergate, les experts pointent leur « objectivité » —et sous-entendent que quiconque n’est pas « objectif » n’est pas un vrai journaliste.

 

L’un des problèmes de cette définition, c’est qu’à un moment donné, elle en vient à ne s’appliquer qu’au journalisme politique : il n’y a que là qu’on puisse accorder à tous les coups, jusqu’à la caricature, un temps de parole égal au pour et au contre. En étirant l’élastique, cette définition peut aussi s’appliquer au journaliste qui court l’actualité au jour le jour et n’a pas le temps de faire des recherches... juste le temps d’interroger un témoin qui pense blanc et un autre qui pense noir.

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Si c’était ça, le seul vrai journalisme, on viendrait du coup d’exclure une bonne partie des magazines.

Et c’est normal : lorsque cette définition s’est progressivement forgée, entre le début du 20e siècle et 1960, personne n’imaginait qu’un jour, on pourrait remplir des murs entiers d’un commerce rien qu’avec des magazines —et ceux qui, il y a 50 ans, occupaient le haut du pavé, comme Time, Newsweek ou L’Express, étaient suffisamment près du journalisme politique pour en être considérés comme des variantes « honorables ».

Or, réfléchissons à ce que l’ère des magazines a entraîné :

  • davantage de journalisme spécialisé;
  • qui dit spécialisé dit communauté —amateurs d’automobiles ou de vélos; ou amateurs de science;
  • et là où on a une communauté, celle-ci accorde une valeur accrue à l’expertise sur les sujets qui lui tiennent à coeur, plutôt qu’à l’objectivité.

Cela signifie, par exemple —je l’ai déjà écrit ici— qu’on ne remet pas en question la légitimité d’une culture de l’automobile dans L’Automobile magazine pas plus qu’on ne met en doute l’importance du vélo dans Vélo Mag. En contrepartie, on s’attend à ce que le journaliste en sache plus sur ce sujet que le généraliste du quotidien local.

Idem du journaliste scientifique, dont on ne s’attend pas à ce qu’il mette sur un pied d’égalité le climatologue et le climatosceptique, le pro et l’anti-vaccination, l’évolutionniste et le créationniste.

Les puristes soupireront : n’y perd-on pas une distance critique? Mais l’un n’empêche nullement l’autre : le journalisme spécialisé, quand il est bien fait, n’est pas moins « chien de garde » que son collègue politique. Il a simplement davantage de marge de manoeuvre que son collègue : car il existe des idées qui ont véritablement moins de valeur que d’autres. Il est des opinions qui n’ont de valeur que si on peut les appuyer sur des faits « démontrables ». Et ça, s’il y a un seul lieu où on peut l’écrire, c’est bien le journalisme scientifique.

Une définition du journalisme du 21e siècle devrait-elle laisser de côté l’objectivité au profit de l’expertise, remplacer l’événementiel par la vérification des faits, abandonner le temps égal au pour et au contre au profit de l’explication?

C’est déjà implicitement ce qu’on dit dans les écoles de journalisme, mais c’est loin d’être ancré dans les moeurs, tant le modèle du journaliste politique classique reste dominant.

Du coup, le magazine —et le pigiste— demeurent sous-estimés, sous-évalués, parce qu’une partie du milieu reste prisonnière des vieilles façons de penser —le pour et le contre— et des vieilles hiérarchies où « le politique » était la seule chose capable de définir « la ligne » d’un média.

Donnez l’opportunité au public, il la saisira

Certes, on pourrait choisir le camp des puristes et décréter que le seul, le vrai journalisme, c’est celui qui se situe en haut de cette « hiérarchie ». On pourrait écarter les magazines, en invoquant la trop grande difficulté à tracer une frontière nette entre les « corporatifs » —ceux qui dépendent d’une institution, défendent une cause, etc.— et les autres. On pourrait.

Mais ce serait faire fi d’une autre évolution, plus profonde, inhérente à la nature humaine : aussitôt qu’on lui en a offert l’opportunité, le public a commencé à délaisser les sources d’information générales qu’étaient les journaux au profit des magazines, puis de la télé, puis des chaînes spécialisées, puis d’Internet.

Aujourd’hui, il a des milliers de médias et des millions de blogues à sa disposition. Qui oserait encore décréter que le journaliste politique ou la couverture de l’actualité au jour le jour sont ce qui mérite de trôner en haut d’une soi-disant hiérarchie?

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