valleecachee.jpg
Dernier volet d’une série de quatre sur la matière sombre.

Après avoir examiné comment la matière sombre révèle sa présence à travers des effets gravitationnels, l’absence de preuves directes d’interaction avec la matière ordinaire et comment la cosmologie soutient aussi son existence, voici ce que le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN peut accomplir.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Nous pourrons peut-être trouver la matière sombre avec le LHC mais seulement si la matière sombre interagit avec la matière ordinaire. Comme nous ne connaissons pas le processus exact, nous élaborons des pièges adaptés à autant de bestioles qu’il y a de théories. En voici quelques-unes.

La supersymétrie

Le Modèle standard, la théorie actuelle décrivant la physique des particules, réussi à expliquer presque tout ce qui a été observé jusqu’à présent. Malheureusement, à plus haute énergie, ses équations ne tiennent plus la route.

C’est pourquoi des théoricien-ne-s ont développé la supersymétrie (ou SUSY pour les intimes) qui englobe le modèle standard mais va plus loin. Ce qui est vraiment remarquable, c’est que cette nouvelle théorie élaborée pour corriger les défauts du modèle standard prédit l’existence de particules ayant les caractéristiques de la matière sombre, d’où sa grande popularité.

Tout serait parfait, sauf qu’aucune des nombreuses particules supersymétriques postulées n’a encore été détectée. Est-ce simplement parce que ces particules sont hors de la portée actuelle du LHC ? Nous aurons plus de chances de les découvrir après son redémarrage en 2015 à bien plus haute énergie.

La plus légère des particules supersymétriques

Dans le LHC, les protons entrent en collision, produisant de grandes quantités d’énergie. Puisque l’énergie, E, et la masse, m, sont deux formes d’une même essence comme le stipule la célèbre E=mc2, l’énergie peut se matérialiser en nouvelles particules. Les particules lourdes sont instables et se désintègrent rapidement en plus légères.

Certaines variantes de SUSY prédisent que toutes les particules supersymétriques doivent se désintégrer en d’autres particules supersymétriques. Suivant cette assomption, la particule supersymétrique la plus légère ne peut pas se désintégrer et reste stable, incapable d’interagir avec quoi que ce soit d’autre, exactement comme on s’y attend pour la matière sombre.

Voici une chaîne de désintégration typique. Un quark supersymétrique se désintègre en une autre particule supersymétrique, χ2, et en un quark ordinaire, q. Lors des deux étapes suivantes, un électron ou muon (notés l+ and l-) et des particules supersymétriques plus légères sont produites. La plus légère, dans ce cas particulier une particule appelée neutralino, χ1 ne peut se désintégrer en quoi que ce soit d’autre et s’échappe du détecteur sans laisser de trace.

Voir l’invisible

Un événement est un cliché révélant toutes les particules plus légères émises lors des désintégrations de particules instables. Pour chaque évènement, l’énergie doit être balancée. Ainsi, même lorsqu’une particule traverse le détecteur en ne laissant aucun signal, elle peut être détectée grâce au déséquilibre de l’énergie de cet événement. On détecte donc les particules supersymétriques les plus légères et invisibles de cette façon.

Les collaborations CMS et ATLAS cherchent donc des événements ayant un fort déséquilibre en énergie accompagné soit d’un unique photon soit d’un jet (une gerbe de particules constituées de quarks).

Sur ce graphique, on voit un événement capté par l’expérience ATLAS contenant un seul photon (le dépôt d’énergie indiqué en jaune vers 4 heures à gauche et aussi à droite) et l’énergie manquante représentée par la ligne pointillée rose vers 10 heures.

C’est exactement ce à quoi un événement contenant la particule supersymétrique la plus légère et un photon ressemblerait. Mais un événement contenant un boson Z et un photon a la même allure quand le boson Z se désintègre en deux neutrinos (autres particules qui n’interagissent pas avec le détecteur).

Malheureusement, jusqu’à présent, pour les multiples scénarios étudiés, rien n’a été trouvé sauf le bruit de fond attendu, c’est à dire tous les autres types d’événements connus ayant la même signature.

Contrairement aux recherches directes de matière sombre, les analyses du LHC sont sensibles aux particules de matière sombre même légères. Vous rappelez-vous du diagramme très fouillis que j’ai montré sur les recherches directes de matière sombre? CMS et ATLAS peuvent aider à clarifier la situation, même si leurs résultats dépendent d’hypothèses théoriques contrairement aux recherches directes.

Voici les résultats de l’expérience CMS pour les recherches d’évènements contenant un seul jet et de l’énergie manquante. L’axe horizontal donne la masse du candidat de matière sombre et l’axe vertical, le taux d’interaction avec la matière ordinaire. Toutes les valeurs au-dessus des différentes courbes sont exclues. CMS (ligne rouge) exclue les particules de matière sombre légère ayant un taux d’interaction élevé, une région inaccessible à XENON100 (courbe bleue), l’expérience la plus puissante pour la recherche directe de la matière sombre.

Boson de Higgs et matière sombre

Une autre approche visant à trouver la matière sombre repose sur certaines théories prédisant que le boson de Higgs pourrait se désintégrer en particules de matière sombre.

Les bosons de Higgs sont parfois produits avec un boson Z. Si le boson de Higgs se désintègre en matière sombre, nous verrions seulement les débris du boson Z et de l’énergie manquante pour le boson de Higgs. Les recherches en ce sens ont jusqu’ici rien révélé de plus que le bruit de fond attendu.

Des mondes parallèles

Des théoricien-ne-s ont développé une étonnante théorie de la matière sombre incorporant les idées d’une vallée cachée où deux mondes évolueraient en parallèle: notre monde avec les particules du modèle standard et celles de la supersymétrie (bien qu’encore inconnues), et un monde complètement séparé peuplé de particules sombres comme illustré sur ce schéma. Ici, chaque ligne horizontale représente une particule d’une masse donnée.

L’idée est que le LHC pourrait produire des particules supersymétriques lourdes. Ces particules se désintégreraient en cascade. La plus légère des particules de SUSY serait un «messager» capable de traverser la vallée cachée et de s’échapper dans le secteur sombre, devenant invisible pour nous.

Dans le secteur sombre, cette particule se désintégrerait en une cascade de particules sombres jusqu’à ce qu’elle atteigne la plus légère des particules supersymétriques sombres, un autre messager capable de réapparaître dans notre monde en émettant de nombreuses paires d’électrons ou de muons.

Même si cela ressemble à de la science-fiction, il s’agit bien de physique non vérifiée mais très sérieuse comme en attestent les articles cités ci-dessus.

J’étais jusqu’à tout récemment l’une des expérimentatrices et expérimentateurs à la recherche de signes de cette vallée cachée. Nous sélectionnions des événements contenant des paires regroupées d’électrons et de muons, mais n’avons rien trouvé de plus que le bruit de fond.

Les recherches continuent, là et dans de nombreux autres endroits, tout en raffinant constamment les méthodes et en essayant de nouvelles stratégies. Si la matière sombre interagit avec la matière, nous devrions la trouver.

Je donne