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Est-ce que les mères ont moins de chances de percer dans le milieu scientifique? Une étude parue dans la revue Nature en décembre dernier laisse croire que recherche et maternité ne font pas bon ménage.

 

Les résultats inquiètent: les femmes publient moins, elles sont moins citées et elles collaborent moins à l'international. En fait, même dans les domaines où elles sont majoritaires comme le travail social, l'éducation ou le développement de l'enfant, elles ont moins d'impact que leurs collègues masculins. En entrevue à l'émission Je vote pour la science , Vincent Larivière, coauteur de l'étude, émet l'hypothèse que la maternité expliquerait en partie ce phénomène.

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Mais qu'en pensent les principales intéressées? Pour en savoir plus, j'ai contacté trois blogueuses de science qui se penchent régulièrement sur la maternité:

Pascale Baugé, auteure des blogues Le monde et nous et Allaitement: Bonheur et Raison et contributrice au blogue Kidi'Science.

Tracy Cassels, auteure du blogue Evolutionnary parenting;

Alice Callahan, auteure du blogue Science of Mom.

De Paris à la Colombie-Britannique, en passant par l'Oregon, concilier science et maternité demeure un défi.

Maman Éprouvette: Quel est votre parcours en science avant et après l'arrivée de vos enfants?

Pascale Baugé: J'ai toujours travaillé dans le domaine de l'énergie. Avant la naissance de mon premier enfant, j'étais ingénieure de recherche et les choses ont progressivement évolué jusqu'à l'arrivée de mon deuxième enfant puisque j'étais alors ingénieure intégrée au département Ingénierie/Développement chez un producteur d'électricité. Au moment de ma troisième grossesse, j'ai choisi de changer de département.

Tracy Cassels: Avant la naissance de ma fille, j'étais étudiante au doctorat, ce que je suis toujours. J'ai complété une maîtrise en psychologie clinique et je faisais mon doctorat en psychologie développementale lorsque je suis partie en congé de maternité. Maintenant, je termine ma dissertation. Je travaille aussi sur mon site « Evolutionary Parenting» dans mes temps libres, c'est-à-dire entre minuit et 2 heures du matin ou à l'heure du bain.

Alice Callahan: Après avoir complété mon baccalauréat, j'ai travaillé comme chercheuse pour 10 ans, d'abord comme technicienne, ensuite comme étudiante graduée puis, en tant que stagiaire postdoctorale. J'étais dans le domaine de la nutrition et de la physiologie fœtale. Depuis la naissance de ma fille, j'enseigne à temps partiel dans un collège communautaire et j'écris mon premier livre.

MÉ: Comment la maternité a-t-elle influencé votre carrière?

PB: Déjà avec mes deux premiers enfants, ce n'était pas très facile de concilier travail et famille. Mais, c'est l'arrivée de mon troisième qui a vraiment tout changé. Après mon congé maternité, j'ai aussi arrêté de travailler le mercredi. Le fait de changer de département et de travailler à temps partiel m'a permis de lever le pied très sérieusement sur les déplacements et d'arrêter de me sentir «coupée en deux» systématiquement. Je culpabilisais et je vivais assez mal de partir travailler en laissant mes deux petits. D'un autre côté, quand je devais renoncer à une réunion pour un enfant malade, je n'étais pas très à l'aise non plus.

TC: J'ai été très chanceuse de pouvoir compter sur le soutien de mon superviseur et du directeur des études graduées. Ils ont complètement compris mon désir de passer du temps avec ma fille. Ils m'ont donné les moyens d'y arriver tout en continuant d'écrire des articles scientifiques et de travailler sur mes recherches.

AC: Avant d'avoir un enfant, je souhaitais obtenir un poste menant à une permanence et diriger mon propre laboratoire. Quand ma fille est née, mes priorités ont changé, mais ce changement a été difficile pour moi. Je trouvais important d'être avec elle. Mon conjoint avait également un emploi stressant lui demandant de travailler beaucoup à des heures irrégulières. Je sentais que l'un d'entre nous devait donner la priorité aux besoins de notre famille.

MÉ: Croyez-vous que votre milieu est compatible avec la vie de famille? Est-il conciliant pour les nouvelles mères?

PB: Une carrière scientifique qui nécessite peu de déplacements professionnels, en milieu universitaire par exemple, me semble tout à fait compatible. Travailler en milieu industriel avec tous les enjeux financiers et humains que cela comporte, cela me paraît plutôt difficile. Cela nécessite un investissement total, et n'est pas compatible avec un temps partiel comme je le fais actuellement. Il y a une dizaine d'années, j'aurais dit que mon milieu n'est pas conciliant du tout. Lorsque mes enfants étaient malades et que je déclinais une réunion, j'étais assez mal vue même si j'essayais de compenser cela par une présence et un investissement accrus les autres jours. Je constate une certaine méfiance qui règne envers les femmes, surtout si elles sont mères, dans le domaine industriel. On a dû mal à gagner la confiance des partenaires masculins. C'est encore très misogyne. Cela évolue doucement, mais du chemin reste à faire.

TC: Dans mon milieu en général, la maternité peut malheureusement tuer une carrière. Tellement d'universités sont hostiles envers les familles. Lors du processus pour obtenir un poste de professeur permanent, on tente presque de vous tenir loin de vos proches. J'ai entendu des histoires d'horreur de familles qui ont vécu un divorce pendant ou après ce processus, de personnes qui n'étaient jamais à la maison ou qui travaillaient tout simplement en permanence lorsqu'ils y étaient. Dans le monde de la recherche académique, vous devez avoir un soutien incroyable à la maison ou attendre d'avoir un poste permanent pour fonder une famille.

AC: Je crois qu'un poste menant à une permanence dans une université ne m'aurait pas permis de faire à la fois toutes les tâches nécessaires au bien-être de notre famille et les heures requises pour faire de la bonne science. Je pense que le milieu académique peut être un bon environnement pour avoir des enfants en raison de sa flexibilité. Cependant, c'est très demandant. Le processus pour avoir un poste permanent ne se fait pas à temps partiel, il faut mettre beaucoup d'heures de travail. Cela nécessite définitivement de partager les responsabilités parentales avec son conjoint.

Comme l'expliquent bien Pascale, Tracy et Alice, le succès d'une carrière en science lorsqu'on fonde une famille peut dépendre de bien des choses: la situation familiale, le milieu de travail, le soutien des collègues et des patrons. Il est aussi influencé par les besoins et les désirs de chacune.

Alors que faudrait-il pour que les femmes aient les mêmes opportunités en science que leurs collègues masculins? Un conjoint qui participe à la maison, un changement de mentalité dans le milieu de la recherche et une plus grande ouverture aux familles... Les besoins des mères en science ne sont peut-être pas si différents de ceux des autres femmes. C'est toute la société qui doit changer pour briser le plafond de verre.

Ce billet a d'abord été publié sur le site Maman Éprouvette.

 

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