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Hier soir, j’ai eu la chance d’être invité à un lancement d’une nouvelle gamme de vin de table. Déjà, il s’agit d’un événement plutôt inhabituel au Québec, mais cela devient carrément extraordinaire quand c’est François Chartier qui en est l’auteur.

François Chartier est un surdoué de la gastronomie. Gagnant du prix du meilleur sommelier du monde en 1994, il a passé les 20 dernières années à pousser encore plus loin son art en le transformant en science. Depuis 2003, il fait des recherches en «harmonies et sommellerie aromatiques». Au fil des discussions avec des biochimistes, des œnologues et des grands chefs, il est parvenu à définir la nature de l’harmonie des arômes. On peut retrouver le fruit de son travail dans son livre Papilles et molécules . Le principe d’harmonie des saveurs vient de l’observation que certains aliments sont souvent associés entre eux dans les recettes de cuisine. Or, il est apparu récemment que ces pairages avantageux sont dus à la présence de molécules particulières, communes aux aliments composant une recette.

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Cette connaissance intime de l’harmonie des saveurs a permis à François Chartier de faire une rétro-ingénierie des accords mets-vins, selon l’expression de l’un de mes convives. Ainsi, plutôt que de trouver le vin adéquat pour un mets, il conçoit des vins en fonction des aliments. Ainsi, l’an dernier il avait lancé six vins pour la Société des alcools du Québec, alors que cette année, il en lance trois pour la chaine IGA. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la politique du vin au Québec, la Société des alcools du Québec est une société d’État fondée en 1921 suite au rejet d'un référendum (Non à 78,62%) portant sur la prohibition des alcools et visant à contrôler la distribution des alcools au Québec. Depuis cette époque, elle a un quasi-monopole. Bien que l’on puisse trouver du vin en épicerie, ce dernier est soumis à des règles strictes. Entre autres, les bouteilles ne peuvent être millésimées et les marques de vins vendues à la SAQ ne peuvent être vendues dans les supermarchés. Il s’en suit que les vins vendus hors de la SAQ ont acquis la réputation plus ou moins méritée d’être de piètre qualité, d’être des «vins de dépanneur». Par conséquent, la création de produits spécifiques pour ce marché constitue une petite révolution culturelle.

Cela reflète aussi l’évolution de la pensée culinaire de François Chartier, qui a appris avec l’expérience que les règles d’harmonies pouvaient être relâchées dans un contexte de cuisine au quotidien. Ainsi, pour l’instant, cette gamme ne comporte que 3 vins. Le premier, un blanc, (La Pêche Mignonne) couvre la famille aromatique des lactones que l’on retrouve dans l’abricot, la pêche, le miel, la noix de coco, le camembert et le brie, le riz brun, la pacane, le sirop d’érable, le porc, le saumon, le homard, les crustacés, l’ananas, la pomme jaune, le beurre, l’oignon caramélisé et le curry. Le premier vin rouge (L’Olivier d’Anis) est riche en anéthol et en rotundone. On retrouve ces arômes dans le poivre, l’olive noire, l’agneau, la viande rouge, la viande fumée, le thym, l’anis étoilé, la réglisse, la carotte, le carvi, le fenouil, le panais, la racine de persil, l’estragon, le topinambour, la menthe, l’origan, les légumes racines rôtis. Le dernier vin est un aussi un rouge (Le Clou de Basile), riche en eugénol, gaïacol et pyrazines. Il s’agit d’arômes que l’on retrouve dans le bœuf, le canard, les épices à steak, le basilic, la betterave, le cassis, la cannelle, la canneberge, le thon rouge, la prune, le clou de girofle, la mozzarella cuite, la sauce tomate, le gibier, le bacon et le riz sauvage. Afin de faciliter le travail des cuisiniers amateurs, les mets les plus appropriés pour chaque vin se retrouvent en toutes lettres sur l’étiquette de la bouteille.

Je peux confirmer que cet accord est loin d’être illusoire, surtout quand le mets accompagné a été conçu par le chef Stéphane Modat du Château Frontenac suivant les mêmes principes d’harmonie moléculaire.

Hormis l’intérêt gastronomique de ces travaux, il est intéressant de voir comment a évolué la pensée de François Chartier au cours de sa carrière. Alors qu’au début, il s’intéressait à trouver de nouveaux accords mets-vins, il s’est par la suite attablé à modifier et créer des recettes afin qu’elles s’adaptent mieux aux vins. Au cours de cette recherche, il a noté l’existence d’ingrédients de liaison et c’est en suivant cette piste qu’il est arrivé au concept d’harmonie moléculaire, qui est construite sur des bases scientifiques. Maintenant qu’il comprend mieux le phénomène, il peut le maitriser et aussi l’expliquer. C’est d’ailleurs la contribution la plus intéressante de son travail. En effet, grâce à cette compréhension intime de son sujet, il est maintenant capable de vulgariser son travail et d'ainsi rendre une partie du savoir culinaire des grands chefs, accumulé depuis des milliaires, accessible au grand public.

Ce faisant, il a suivi un chemin courant en histoire des sciences: alors que la connaissance intime de règles empiriques mène à la compréhension profonde d’un phénomène, elle mène du même coup à des applications pratiques et à une meilleure capacité de transmission des connaissances.

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