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Jusqu’au 22 juin 2016, une consultation publique était ouverte par la ministre française de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, à propos d’un projet d’arrêté concernant la régulation des populations de loup. Une initiative qui, à mon avis, attise une discussion stérile sous forme de combat entre éleveurs et écologistes en posant les mauvaises questions.

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Il s'agit du premier de trois billets écrits à la suite d’une consultation publique française sur la question de l’abattage de loups.

Billet n° 2 : Concilier les points de vue sur le loup

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Billet n° 3 : Qui a peur du grand méchant loup ?

La politique du loup, toutes griffes dehors

Dans la vraie vie, ces clichés existent également et freinent de véritables discussions. Là où je les ai ressentis de la manière la plus agressive sans assister à des échanges de vive voix, ce sont dans les commentaires d’articles sur Internet. Classiquement, les « villageois pro-loups » portraient les éleveurs comme des paresseux sans âme pour le loup et uniquement animés par le désir de tuer, tandis que les « villageois anti-loups » portraient les écologistes comme des idéalistes sans âme pour les moutons et complètement détachés de la réalité. Du coup, la fausse discussion s’enlise sur la question à court-terme de « dans une optique de régulation, faut-il tuer des loups ? », ce qui ne satisfera ni éleveurs ni écologistes sur le long terme quelle que soit la réponse. On en est tout de même à la cinquième consultation publique sur ce sujet précis, et le seul effet que j’ai observé est une perte de crédibilité des actions du gouvernement (à la fin de la Synthèse des observations du public de la quatrième consultation, il est relevé que « Certains commentaires remettent également en cause la crédibilité de cette consultation, en référence aux précédentes consultations »).

Pourquoi cette discussion très politisée est-elle bloquée ? Les personnes qui ne se renseignent pas sur des points de vue différents, qui restent enfermées dans leur village en rejetant l’autre, existent, c’est vrai. Pourtant, elles sont rares en proportion (heureusement). Malheureusement, elles font beaucoup de bruit, ce qui entretient l’idée stérile d’une bataille entre deux camps qui ne pourront jamais se comprendre. Mon exemple préféré est l’affaire de la peluche Lupo Wolfie, dans laquelle les pro-loups dénoncent une « provocation » indécente et les anti-loups dénoncent une réaction « grotesque », mais j’ai lu des prises de position bien plus haineuses et encore j’ai seulement commencé à m’intéresser réellement à la question.

Qu’en est-il lorsqu’on s’intéresse aux arguments des personnes qui se renseignent, autrement dit des éleveurs et des écologistes qui échangent de véritables arguments et non des insultes (ce qui n’empêche pas les échanges d’arguments d’être parfois tendus, mais au moins il y a du fond) ? D’après ce que j’ai lu pour l’instant, je pense qu’il existe juste deux points de vue, qui n’arrivent pas à se croiser car ils ne se rendent pas compte qu’ils parlent d’échelles différentes. Il ne s’agit donc pas de deux camps aux opinions incompatibles, mais de deux sujets différents qui peuvent réussir à s’articuler l’un à l’autre si la discussion arrive à dépasser le stade du blocage de surface.

Mon loup, ma bataille

D’un côté, les éleveurs s’attachent à l’échelle locale, comme le montre le septième point de cette série de dix arguments d’éleveurs (données économiques qui se retrouvent sur la page d’accueil de l’association Les éleveurs face aux loups). De l’autre côté, les écologistes s’attachent à l’échelle globale, comme le montre le septième point de cette série de dix contre-arguments d’écologistes (et si je vous ai mis les liens, c’est parce que les neuf autres arguments sont intéressants eux aussi, donc n’hésitez pas à les lire). En lisant ce genre de documents, l’impression qui ressort est que les éleveurs restent vissés avec passion sur l’échelle locale restreinte et que les écologistes restent ouverts sur l’échelle globale en étant capables de comprendre cette question complexe sans se laisser emporter par les passions.

Cette impression se trouve confirmée par les situations extrêmes. Côté protection du pastoralisme, n’hésitez pas lire le paragraphe d’observations situé en fin de cet article, très instructif sur la manière de décrypter les propos de l’écologiste (exemple typique de mauvais journaliste, qui décrédibilise son adversaire sous couvert de « décoder » son discours), pour le décrire comme un lobbyiste menteur et manipulateur. Côté protection de la biodiversité, l’article représentatif est plutôt celui-ci, qui commence avec un titre provocateur et des formulations caustiques mais inclut aussi une remise en contexte et un appel aux efforts de cohabitation.

Faut-il en conclure que les éleveurs ont tort parce qu’ils ont le point de vue étriqué et que les écologistes ont raison parce qu’ils savent concilier les points de vue ? Absolument pas. Faut-il en conclure que mon moteur de recherche a compris ma position écologiste et ne m’a fourni que les articles qui la confortent ? J’espère avoir assez bien effectué mes premières recherches pour éviter cet écueil. Finalement, il n’y a rien de plus à conclure que ce que j’ai déjà écrit, c’est-à-dire le fait qu’il y ait deux échelles différentes, et surtout que ces deux échelles ne sont incompatibles qu’en apparence. Les éleveurs s’attachent avec passion à l’échelle locale puisque c’est la leur, les écologistes s’attachent sur toutes les composantes de l’échelle globale, puisqu’ils se sont donnés pour mission de protéger l’environnement. Hélas, et c’est le sens du conte par lequel j’ai introduit ce premier billet, de mauvais éleveurs et de mauvais écologistes font s’enliser le débat par leur attitude, ce qui a pour effet d’empêcher de poser les bonnes questions et donc d’empêcher de donner les bonnes réponses.

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