Pascal Barrier

Pascal Barrier est l'une des rares personnes a avoir vécu une expérience hors du temps : en 1992, il passa 113 jours, seul et sans aucun repère temporel, dans la grotte de la Cocalière (Gard, France). En complément à un précédent billet sur la chronobiologie, il revient avec nous sur cette expérience.

Quelles ont été vos motivations pour vous lancer dans cette aventure ?

Pascal Barrier : C'était avant tout pour le plaisir, j'étais amateur de sensations fortes. J'avais envie de me dépasser, de vivre quelque chose de nouveau, une aventure humaine et sportive. Je n'avais pas de prétentions scientifiques. En 1992, il n'y avait déjà plus grand-chose à découvrir en chronobiologie avec les expériences hors-du-temps, la Nasa en avait fait beaucoup : on avait mis des gens dans des bunkers, dans l'espace... Mais le professeur Michel Billiard, un spécialiste du sommeil, m'a quand même sauté dessus à ma sortie pour me faire passer des tests.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Une fois dans la grotte, comment organisiez-vous vos « journées » ?

P. B. : J'avais des « cycles » bien organisés avec petit-déjeuner, déjeuner et dîner. Je faisais des activités le matin et l'après-midi (même si ces notions n'avaient aucun sens dans la grotte). J'avais beaucoup d'espace alors je pouvais faire du jogging, du canoë, du vélo... J'avais aussi une caméra avec laquelle je me suis occupé pendant dix cycles, ça a fait des images pour mes proches et les médias.

Essayiez-vous d'évaluer le temps qui s'écoulait ?

P. B. : Non, au contraire ! J'ai fait le maximum pour ne pas avoir d'indication sur l'heure, je n'avais pas de montre, pas de radio, pas de contact avec l'extérieur... En faisant mes bagages, j'avais pris soin de ne rien prendre qui pouvait me renseigner sur le temps, je savais que je n'aurais pas résisté à la tentation de regarder l'heure si je le pouvais. J'avais même arrêté de me raser car je savais à quelle vitesse poussait ma barbe. Le seul indice que j'ai eu a été la visite de souris qui normalement sont plutôt nocturnes et qui m'ont indiqué que j'étais réveillé en pleine nuit.

En 1962, Michel Siffre, pionnier des expériences hors-du-temps, a montré que sans repère temporel le rythme biologique humain n'est pas de 24 heures mais d'environ 24 heures et 30 minutes. Vous êtes-vous rendu compte de ce décalage ?

P. B. : Pas du tout. Je connaissais les expériences de Michel Siffre alors je m'attendais à ce décalage mais je n'ai pas ressenti de changement dans mes cycles. Quand l'équipe en surface m'a annoncé que les 100 jours prévus s'étaient écoulés, je me croyais au 96ème. Je ne m'étais rendu compte de rien mais dès le premier jour je m'étais levé avec une heure de décalage et chaque jour je me réveillais avec une heure de décalage en plus. J'avais un téléphone à sens unique, je leur disais quand je me couchais et quand je me levais mais avant le dernier jour je ne pouvais pas les entendre. C'est impossible de se repérer dans le temps au fond d'une grotte. Un jour je me suis couché à 17 heures et je me suis levé deux heures plus tard en pensant avoir fait une nuit complète : j'ai pris mon petit déjeuner et j'ai fait un cycle complet sans être fatigué. Sans repère, c'est impossible de différencier une sieste d'une nuit complète.

L'expérience devait durer 100 jours, pourtant vous avez passé 113 jours dans la grotte. Comment s'est passé le retour à la surface ?

P. .B. : Si parfois pendant les 100 jours je n'avais pas le moral et que j'avais envie de sortir, après les 100 jours, je n'étais plus pressé. Dans ma grotte, j'étais comme dans un cocon : pas de problèmes, pas de travail, pas d'horaire à respecter... J'avais envie de rester là un peu plus. Après le 100ème jour, il y a eu une période de resynchronisation. Petit à petit, on m'a remis dans un rythme normal pour mon retour à la surface. Par exemple, si je me réveillais à 5 heures du matin on me demandait d'aller me recoucher pour me relever à 7 heures.

En 1995, vous avez fait une seconde expérience hors-du-temps : deux mois dans les souterrains d'Arras (Pas-de-Calais, France) avec le spéléologue Jannick Roy.

P. .B. : Oui, j'avais envie de voir si on obtenait les mêmes résultats en duo et ça s'est vérifié : dès les premiers jours nous avions tous les deux des cycles synchronisés de 25 heures. Pendant quelques temps nous nous sommes séparés et nous avons conservé ce rythme chacun de notre côté. Pour l'anecdote, lors de notre première nuit à l'extérieur, nous nous sommes retrouvé en même temps dans le couloir de l'hôtel en pleine nuit : nos cycles étaient toujours synchronisés.

 —  Propos recueillis par A. R.

Je donne