Illustration, Le plaisir de manger

La nourriture est un choix de société, qui a de nombreuses implications. Une table ronde sur les aliments du futur s'est penchée sur cette question du point de vue de la santé et de l'environnement.

À la fin du mois de septembre 2017, les magazines La Recherche et Sciences et Avenir ont organisé le forum Voyage au cœur des sciences à la Cité des sciences de Paris. Parmi les événements proposés, des échanges sur l'éducation connectée, sur l'après-COP21 et sur la transition énergétique, sur la place des femmes en sciences, sur l'intelligence artificielle, sur la conquête de l'espace, sur l'avenir de la vie sur notre planète et sur les aliments du futur.

La table ronde Aliments du futur, tendances « végane » et « végétarienne », animée par Carole Chatelain de Sciences et Avenir, rassemblait Sylvie Benkemoun du GROS (Groupe de Réflexion sur l'Obésité et le Surpoids), Jérôme Musset de l'ADEME (Agence De l’Environnement Et de la Maîtrise de l’Énergie), Daniel Tomé de l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique). Elle était donc mixte, ce que je félicite. Vous pouvez la visionner à la fin de l'article correspondant de Sciences et Avenir, Comment mieux manger pour préserver sa santé et la planète ?

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Les régimes végétaux, des choix alimentaires

Répondre aux défis environnementaux nécessite un changement global des modes de production et de consommation. La question du gaspillage éclairant la valeur que l'on accorde à la nourriture, nos sociétés ont une grande marge de manœuvre sur l'alimentation. Attention, pourtant… Les « régimes sans » ne sont pas, à la base, des choix alimentaires. Il s'agit de contraintes, déterminées par des allergies ou des intolérances à certaines protéines, telles que le gluten du blé ou le lactose du lait animal. Les régimes végétaux, eux, sont des choix alimentaires, donc des choix politiques. Ces choix de consom'acteurs et consom'actrices peuvent être motivés par la santé, par l'environnement ou, comme il n'en a pas été question lors de la table ronde, par les animaux.

En faisant attention de ne pas enfermer des choix complexes dans des étiquettes simplistes, quelques définitions s'imposent.

Le flexi-végétarisme est le choix de baisser sa consommation de viande, par exemple en n'en cuisinant pas chez soi et en n'en mangeant qu'à l'extérieur. Le végétarisme est le choix de ne consommer aucune chair animale, qu'il s'agisse de viande de mammifère, de volaille, de poisson, de crustacé ou d'insecte. Le végétalisme est le choix de ne consommer aucun produit alimentaire issu de l'exploitation animale, aussi bien la chair que le lait, les œufs ou le miel. Le véganisme, lui, est le choix de ne consommer aucun « produit » issu de l'exploitation animale, qu'il s'agisse de produits alimentaires, vestimentaires, cosmétiques, de santé ou de loisirs. Un régime de bananes, enfin, n'a pas de lien direct avec le sujet qui nous occupe.

Regard psychosocial sur les comportements alimentaires

Quel que soit le régime que l'on choisit en tenant compte de ses contraintes personnelles, il est nécessaire de manger équilibré pour être en bonne santé. Pourtant, si 90 % de la population suit les prescriptions de médicaments, seulement 20 % de la population suit les prescriptions alimentaires. D'où la question de société : pourquoi est-ce que 80 % de la population mange mal ? On peut dire d'une part pour des questions d'argent, à cause de l'offre qui obéit à la logique du profit et non de la santé publique. D'autre part, il existe une confusion entre les conseils pour la santé et les conseils pour maigrir. Comme cette problématique est liée aux structures du culte de l'apparence, l'éducation aux médias est un des piliers indispensables pour se réapproprier notre alimentation.

Aujourd'hui, le manque de connaissances et de contrôle démocratique sur notre alimentation construit une ambiance anxiogène autour de la nourriture. Comme les conflits d'intérêts et les sophismes scientistes font perdre confiance dans les sciences, de nombreuses personnes réagissent à des inquiétudes au départ légitimes par des règles qui ne suivent pas la démarche scientifique. En France, 2 % de la population souffre d'orthorexie, c'est-à-dire une exagération du besoin de manger sain (avec toutes les précautions à prendre vis-à-vis des phénomènes de structures lorsque l'on définit un trouble du comportement).

Pour que la médecine de la nutrition cesse de prendre le pas sur le plaisir de manger, la psychosociologue Sylvie Benkemoun a conseillé de sortir des prescriptions abusives, dans le sens où bannir par exemple le gluten lorsqu'on n'y est pas intolérant ou allergique est abusif. La nourriture n'est pas que nutriments, même si elle est le premier des médicaments comme disait Hippocrate, elle est aussi un moment de partage et de symboles, un acte socio-affectif. Choisir la nourriture que l'on consomme, à titre personnel et dans nos choix de société, implique de tenir compte du plaisir que l'on prend à manger. Comme l'a conclu la psychosociologue, après avoir développé la notion d'alimentation intuitive que je nuance pour ma part par l'importance de l'éducation pour prévenir certains effets de structures, « Manger est un acte d'amour ».

Les bases de la transition alimentaire

Que l'on suive des régimes « sans » par contrainte ou que l'on fasse des choix alimentaires comme le végétalisme, pour la santé, pour l'environnement ou pour les animaux, il faut donc manger équilibré en se faisant plaisir. Dans le cas des régimes végétaux, puisque c'était le sujet de la table-ronde, il est tout à fait possible de suivre un régime entièrement végétal à n'importe quel âge de la vie, des avis qui reprennent les conclusions de structures internationales comme l’American Dietetic Association. Dans une société structurée actuellement autour du couple céréales/animaux, choisir de se diriger vers une offre végétale nécessite de diversifier les sources de nourriture, ce qui peut aller de pair avec une réappropriation de son alimentation via les produits locaux et les plats « faits maison ».

En quelques années, la proportion de végétarien·ne·s en France a augmenté de 257 %. Forte proportion mais, en valeur absolue, cela fait passer de quelques tous petits pourcents à... quelques petits pourcents. Attention avec les pourcentages. En restant sur le chiffre plus pertinent de la valeur absolue, 3 % des français·e·s font le choix du véganisme. Comme les comportements alimentaires sont inscrits dans notre mémoire à travers les circuits de récompense, le choix d'une transition peut être difficile, d'autant plus lorsque le choix diffère des structures de société qui nous construisent. Raison de plus pour mettre en avant le plaisir de manger : prendre en compte les mécaniques comportementales est fondamental pour choisir et agir, en l'occurrence en inventant des gastronomies végétales basées sur le partage et le plaisir - « Manger est un acte d'amour », pour paraphraser.

Aujourd'hui, des équilibres culture-élevage vertueux peuvent se développer, mais d'autres équilibres vertueux existent en développant d'autres relations avec les animaux non-humains que les exploitations et la mort. Dans une optique de reconversion, étant donné qu'il faut consommer dix kilos de protéines végétales pour produire un kilo de protéines animales, la question des surfaces agricoles est en réalité une réponse. Court-circuiter l'animal est plus qu'une substitution, puisque les espaces libérés par l'abolition de l'élevage peuvent être reconvertis dans des systèmes agro-écologiques de production végétale à haute technologie.


Suite au développement très intéressant sur les dérives de l'orthorexie, la psychosociologue a malheureusement conclu en assimilant les choix alimentaires comme le véganisme à un trouble du comportement. L'amorce a été l'éloge du flexitarisme, suivant le sophisme de la tolérance, pour construire une opposition avec « l'intégrisme alimentaire et les névroses » (sic).

Des termes d'une violence choquante, qui prennent une saveur particulière quand on les met en parallèle avec la phrase « Refuser sans concession de tuer des animaux, je trouve ça limite » et le fameux « Manger est un acte d'amour ». Ne pas refuser de tuer est un acte d'amour ? Je reviendrai sur cette malhonnêteté intellectuelle dans un autre billet.

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