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Depuis quelques années, on entend parler d’un vernis à ongles qui, lorsqu’on trempe son doigt dans une boisson, changerait de couleur si celle-ci est contaminée par une drogue du viol, comme le GHB, la kétamine ou le Rohypnol. Qu’en est-il réellement ? Le Détecteur de rumeurs a mené l’enquête.


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L’origine de la rumeur

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Quatre étudiants de l’Université de la Caroline du Nord ont fait beaucoup parler d’eux dès 2014 lorsqu’ils ont récolté des fonds et plusieurs prix pour lancer leur compagnie, Undercover Colors, afin de commercialiser un vernis à ongles permettant de détecter des drogues du viol. Sur le compte Facebook de la compagnie, on peut lire que ce vernis aurait la capacité de changer de couleur au contact du « Rohypnol, du Xanax et du GHB (gamma-hydroxybutyrate), ainsi que de la kétamine et de l’ecstasy ».

Les femmes « ne peuvent pas faire confiance à tout le monde, même un rendez-vous galant comporte des risques », peut-on y lire également. Dans ce sens, une enquête réalisée par les Centres de contrôle des maladies (CDC), la principale agence fédérale de protection de la santé publique aux États-Unis, estimait qu’en 2016-2017, plus de 15 millions de femmes américaines auraient subi un viol au cours de leur vie en étant sous l’emprise d’une ou de plusieurs de ces drogues, et/ou de l’alcool.

Mais dès 2014, on haussait déjà un sourcil devant les multiples promesses avancées par cette jeune start-up, notamment dans un billet de blogue publié sur le site de l’Agence Science-Presse. Neuf ans plus tard, où en est ce fameux vernis qui a tant fait parler de lui ?

Une bonne idée qui n’a jamais vu le jour

Selon le site de vérification des faits de l’Agence France-Presse, en 2018, les fondateurs d’Undercover Colors auraient dépensé en recherches 8,2 millions$ des investissements qu’ils ont reçus, avant d’abandonner l’idée du vernis. Selon la représentante des ventes de l’entreprise, les tests auraient en effet « échoué auprès des consommateurs », et le vernis en lui-même présenterait « trop de limites pour être lancé sur le marché ».

La compagnie s’est donc rabattue sur un test plus simple, le SipChip, qu’elle a commercialisé en 2018. Il s’agit d’un petit disque de la taille d’une pièce de monnaie fonctionnant de la même façon qu’un test de grossesse : une simple goutte du breuvage suffirait à déterminer si celui-ci contient ou non de la drogue, par un système d’une ou deux lignes colorées qui apparaîtraient en quelques minutes.

D’après une version archivée du site d’Undercover Colors, ce test aurait permis de détecter plusieurs drogues comme le Rohypnol ou le Xanax, mais pas le GHB ni la kétamine. Une revue de littérature de 2021 indique que ces tests auraient été mis en vente aux États-Unis en quantités limitées. Aucune étude n’a cependant été réalisée à notre connaissance pour tester l’efficacité de ces SipChips, qui ne semblent plus en vente aujourd’hui. Le site d’Undercover Colors n’est plus accessible.

Qu’en est-il des autres tests ?

Des rumeurs émanant d’autres groupes ont fait état de pailles, bandelettes ou autres sous-verres à usage unique, qui permettraient de déceler certaines drogues du viol dans une boisson. Des compagnies prétendent même que leurs tests seraient efficaces pour détecter un large éventail de drogues.

Ces tests présentent cependant de nombreuses failles, notamment quant à leur sensibilité et leur spécificité. Dans le premier cas, on veut évidemment s’assurer qu’il détecte bien la drogue quand elle est présente, même à faible dose. Dans le second cas, il s’agit de vérifier qu’un test produise peu de « faux positifs », c’est-à-dire un résultat positif alors qu’il n’y a pas de drogue présente dans le breuvage. Deux études, dès 2006 et 2004, avaient évalué ces deux critères pour trois tests différents. Elles avaient notamment montré que les résultats pouvaient grandement varier d’une drogue à l’autre —un test pouvait ainsi présenter une grande sensibilité à la kétamine (100%), mais peu significative pour le GHB (17%).

L’efficacité d’un test pouvait aussi varier selon la boisson : ainsi, pour l’un des tests, une drogue dissoute dans du Coca-Cola sera détectée pour des seuils plus bas que dans un jus d’orange. Pour certaines drogues, il fallait attendre plus de 30 minutes avant qu’un résultat positif ne s’affiche; ou bien le changement de couleur pouvait être très faible, donc difficilement visible dans l’obscurité d’un bar ou d’une boîte de nuit.

Les études de 2004 et de 2006 rappellent également que ces tests peuvent créer un faux sentiment de sécurité, et qu’ils ne promettent de détecter que quelques drogues parmi un très vaste échantillon à la disposition des agresseurs. L’alcool est d’ailleurs, encore aujourd’hui, la principale substance utilisée par ces derniers pour intoxiquer leurs victimes. Un article de la BBC de 2014 rapportait également de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux à propos de ce vernis, soulignant que ce genre d’initiative déplaçait la responsabilité sur les victimes, plutôt que de combattre le problème à la source.

C’est pourquoi l’Ordre des chimistes du Québec a appelé en juin 2022 à la plus grande prudence concernant l’utilisation de ces tests : si « un résultat faussement positif n’a comme conséquence que d’encourager une plus grande vigilance, un résultat faussement négatif est extrêmement dangereux », a-t-il souligné dans un communiqué.

Verdict

Aucun vernis anti-GHB n’a été commercialisé et les autres tests qui ont été mis sur le marché souffrent encore aujourd’hui de nombreuses limites. De façon générale, il n’existe pas, à ce jour, de test rapide infaillible permettant de détecter toutes les drogues à la fois dans une boisson.

 

Photo: Bang Oland | Dreamstime.com

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