L'information (scientifique) veut être libre
(ASP) - Après
les médias de masse, les médias scientifiques
rêvent eux aussi de devenir gratuits. Du moins,
certains dentre eux. Et le débat déchire
de plus en plus la communauté scientifique :
dun côté, ceux qui croient que tous
les résultats de toutes les recherches
devraient être publiés instantanément
sur le Web, sans contraintes, accessibles gratuitement.
De lautre, ceux qui prétendent quun
tel système empêcherait de distinguer les
recherches sérieuses des farfelues.
Il y a déjà
plusieurs années que ces revues de chercheurs
hyper-spécialisées (ne pas confondre avec
les revues de vulgarisation comme Science et vie,
New Scientist ou Québec Science) publient
leurs textes en ligne, intégralement. Mais nombreuses
sont celles qui, en même temps, exigent de leurs
lecteurs un abonnement pour avoir accès à
ces textes : Science, Nature, le New
England Journal of Medicine, pour ne citer que les
plus prestigieuses, sont dans cette situation. Et contrairement
à ce qui se passe avec les médias grand
public, ça fonctionne : un très grand
nombre de lecteurs sont effectivement prêts à
payer pour avoir accès au site web de Nature,
parce qu'ils savent que Nature leur offre une
information unique en son genre, quon ne peut
trouver nulle part ailleurs.
La solution, disent
les partisans dun accès libre, nest
donc pas que Nature décide du jour au
lendemain douvrir toutes grandes ses portes. La
solution est que tous les éditeurs des
plus grandes revues scientifiques trouvent une solution
pour sallier afin d'offrir, en bloc, un accès
public à leur contenu et, surtout, à leurs
archives électroniques. "Nous demandons
aux éditeurs et à tous les scientifiques
actifs de se réunir pour créer une archive
électronique et publique de la littérature
scientifique, contenant des copies complètes
de tous les articles scientifiques publiés",
lancent
dix dentre eux dans le cadre dun débat
publié dans la dernière édition
de la revue Science.
Ne serait-ce que pour
ceux qui recherchent une information pointue (et ils
sont nombreux en science!), un tel outil serait dune
valeur inestimable. " Vous serez capable de
faire des liens entre des observations jusque-là
éparpillées parmi plusieurs articles dans
différentes revues et banques de données ",
donnent-ils en exemple. Et il faut aussi penser aux
bibliothèques et aux centres de recherche moins
fortunés, en particulier dans les pays du Sud,
pour qui labonnement à ces revues -souvent
hebdomadaires- est prohibitif. Cest en invoquant
cette dernière raison que le British Medical
Journal vient tout juste de décider doffrir
gratuitement sur Internet la totalité de ses
articles -lui qui, jusque là, exigeait aussi
un abonnement.
Mais dautres
sopposent à lidée. "Nous
admirons lobjectif", commence, en réplique,
le comité éditorial de la revue Science.
Qui concède de surcroît que "nous
soupçonnons que la tendance peut nous conduire
vers cela". A tel point que Science vient
d'annoncer que, plus tard cette année, elle rendra
gratuitement accessibles, sur son site, les anciens
rapports de recherche, 12 mois après leur publication.
Mais au-delà de cet effort, le comité
juge prématurée une ouverture tous azimuts.
" Nous croyons que dautres alternatives
existent, qui peuvent permettre datteindre la
plupart de ces objectifs plus rapidement et plus efficacement,
sans mettre en danger des publications académiques
à but non lucratif ".
Des modèles
de cette information " ouverte "
commencent à apparaître depuis 1999. PubMed
Central, publié aux Etats-Unis par les
National Institutes of Health, se donne pour ambition
de rassembler en un seul site web toute la littérature
scientifique en sciences de la vie -biologie, médecine,
etc. A lheure actuelle, quelques dizaines de revues
spécialisées (sur une possibilité
de plusieurs centaines) sont rassemblées sous
le chapeau de PubMed -dans certains cas, ils nexigent
que de laisser s'écouler un petit délai
entre la publication et le moment de sa mise en ligne.
Les opposants rappellent
que non seulement linformation scientifique coûte-t-elle
chère à produire, mais qu'en plus, si
des revues telles que Science ou Nature
se détachent du lot des revues de chercheurs,
cest parce que ce quelles sappuient
sur ce quon appelle un comité de révision,
ou comité des pairs : tout article soumis
doit être relu par des spécialistes du
domaine concerné et obtenir leur approbation,
faute de quoi il ne sera pas publié. Ce filtre
garantit un plus haut niveau de qualité au type
de recherche publié dans ces revues -une structure
qui, si on pousse jusquau bout lidée
dune publication sans contraintes, perd tout son
sens.