Les faire descendre de leur tour d'ivoire 
                        
                        BOSTON (ASP) - C'est bien beau de vouloir 
                          faire participer le public aux débat politiques. 
                          Mais quand il s'agit d'OGM, ou de tout autre sujet scientifique 
                          complexe, encore faut-il donner à ce public un 
                          coup de pouce. Bienvenue aux conférences du consensus. 
                        
                        Inventée en Europe il y a quelques 
                          années, la formule tarde encore à faire 
                          des petits en Amérique du Nord (suivant, en cela, 
                          le retard de lAmérique 
                          sur lEurope dans ces débats): on nen 
                          compte quune seule à avoir été 
                          organisée aux États-Unis, assez discrètement, 
                          à lUniversité de Caroline du Nord. 
                          Mais de nombreux groupes y travaillent. 
                        Une conférence du consensus cest, 
                          en gros, une session de formation intensive pour des 
                          "gens ordinaires", complétée 
                          par la rédaction, par ces mêmes gens, dun 
                          rapport dont les recommandations seront soumises au 
                          gouvernement. Au Danemark par exemple, cela prend la 
                          forme suivante: on réunit 16 personnes, choisies 
                          par sondages parmi toutes les couches de la population. 
                          Pendant deux fins de semaine, on leur donne une formation 
                          de base, sous la forme de conférences et de lectures, 
                          sur la thématique par exemple, les organismes 
                          génétiquement modifiés. 
                        La troisième fin de semaine ou 
                          plus exactement, une période de trois jours et 
                          demi- est celle du forum proprement dit: dabord, 
                          les 16 citoyens débattent du problème, 
                          entre eux ou avec des témoins-expert, pendant 
                          une journée et demi; ensuite, ils sattellent 
                          à la rédaction de leur rapport final une 
                          tâche qui doit théoriquement prendre une 
                          journée, mais qui les occupe en réalité, 
                          chaque fois, jusquà 4 ou 5 heures du matin, 
                          le lendemain; enfin, ils présentent leurs résultats 
                          et débattent de ce que qui devrait être 
                          fait à partir de là. 
                        Utile? Et comment. Médiatiquement, 
                          chaque conférence du consensus est une réussite, 
                          de sorte que les autorités politiques nont 
                          dautre choix que den tenir compte. Et le 
                          rapport final, loin dêtre farci de déclarations 
                          simplistes comme le craignaient les critiques de cette 
                          expérience, démontre au contraire, de 
                          la part de ces 16 citoyens, une compréhension 
                          des enjeux digne des meilleurs experts. 
                        "Vous pouvez faire six conférences 
                          du consensus pour le prix dun rapport commandé 
                          à un détenteur dun doctorat", 
                          affirme Lars Kluver, du Conseil des technologies du 
                          Danemark, invité au congrès de lAAAS 
                          pour un symposium intitulé Science technologie 
                          et société : la participation du 
                          public dans la prise de décision. 
                        Un autre symposium portait spécifiquement 
                          sur les conférences du consensus, mais elles 
                          ne sont pas les seuls modèles possibles pour 
                          une participation du public. Gretchen Latowsky, du Centre 
                          de santé environnementale, une firme de consultations 
                          de Boston (Massachusetts) à but non lucratif, 
                          décrit par exemple des comités dévaluation 
                          de la santé environnementale, créés 
                          à Lawrence, Massachusetts, où le taux 
                          dasthme anormalement élevé semblait 
                          lié à la pollution industrielle locale. 
                          Son Centre de santé environnementale a été 
                          précisément fondé pour lancer des 
                          discussions entre les citoyens dune région, 
                          rapprocher les groupes communautaires, les mettre en 
                          contact avec des experts, partout où on soupçonne 
                          lexistence, justement, dun problème 
                          de santé lié à lenvironnement. 
                        
                        "Il y a un besoin pour le public 
                          de travailler avec les scientifiques, et vice-versa. 
                          Parce que trop souvent, les études pertinentes 
                          sont là; elles existent. Mais elles nont 
                          jamais été traduites en termes clairs, 
                          de sorte quelles restent inaccessibles au grand 
                          public."
                        Et même une fois cette "traduction" 
                          effectuée, "les citoyens, de leur côté, 
                          ont besoin des experts pour les aider à donner 
                          une voix à leurs craintes". 
                        Résultat: à Lawrence, le 
                          ministère de la Santé publique du Massachusetts 
                          a lancé une enquête sur les problèmes 
                          respiratoires dans la région, afin de dresser 
                          une carte des zones " à risque ".
                        Même en labsence de résultats 
                          immédiats, reprend Lars Kluver, de telles initiatives 
                          ont pour avantage de redonner confiance aux citoyens 
                          grâce aux nouveaux liens qui ont été 
                          créés entre eux et avec les chercheurs 
                          de leur région. Et si ces chercheurs peuvent 
                          eux aussi en retirer un sentiment dappartenance 
                          plus fort à leur région, doublé 
                          dun désir dimplication dans leur 
                          communauté, on aura redonné au mot "université" 
                          une partie de son sens original: ouvert sur le monde.
                        Pascal Lapointe