Analyse
Pourquoi certains génomes sont-ils aussi petits?
(ASP) - Ce fut une des grandes leçons
d'humilité d'il y a deux ans: lors du dévoilement
de la carte du génome humain, on apprit que notre
corps était composé d'environ 35 000 gènes
soit à peine plus que la souris!
Mais les mystères du génome
ne s'arrêtent pas là. Nos gènes
sont éparpillés à l'intérieur
de chromosomes, eux-mêmes regroupés deux
par deux. L'être humain possède 24 paires
de chromosomes. Or, les brebis en ont 27 paires; et
une race indienne de chevreuil n'en a que
trois.
Bref, les génomes viennent dans
tous les formats, et leurs tailles peuvent varier énormément
d'un être vivant à l'autre, même
s'il s'agit de deux êtres vivants cousins. Et
encore, cousins au sens large: après tout, nous
partageons 30% de nos gènes avec la banane, et
les deux tiers avec la mouche à fruit!
Pas facile de donner du sens à
tout ça, s'aperçoivent les généticiens.
Et la tâche est plus ardue encore pour les généticiens
qui tentent de relier l'évolution du génome
à l'évolution tout court, explique le
journaliste scientifique Jonathan Knight, dans une longue
analyse publiée dans la revue Nature.
À tel point que les variabilités de la
structure du génome sont en train de devenir
une discipline en soi, à l'intérieur de
la déjà très large discipline génétique.
Déjà, les comparaisons de séquences
de génomes de différentes espèces
ont permis de donner du poids à une vieille hypothèse:
des événements inattendus tels que des
fusions de chromosomes et des sursauts d'activités
de "gènes sauteurs", façonnent l'évolution
de nos génomes -et par conséquent, l'évolution
des espèces en général.
Gènes sauteurs??? L'expression
est pour ainsi dire inconnue du grand public -et d'une
bonne partie de la communauté scientifique, en-dehors
de la génétique. Mais elle dit bien ce
qu'elle veut dire: il existe dans notre bagage génétique
des éléments mobiles, appelés transposons.
Ce sont des gènes qui portent en eux des instructions
pour leur propre suppression, duplication ou insertion
dans le génome. Or, il semble qu'à certaines
époques, au cours des trois derniers milliards
d'années, l'activité des transposons ait
été plus violente: c'est ce qui a souvent
provoqué l'expansion de certains chromosomes.
La plupart de nos chromosomes gardent, aujourd'hui encore,
les traces de ces transposons, ce qui permet d'essayer
de remonter le cours de l'histoire.
Un exemple concret: c'est grâce
à cette duplication de gènes que nous
devons notre sens de l'odorat. D'un groupe sans doute
très restreint de gènes, nous sommes passés
aujourd'hui à une diversification des gènes
liés à divers récepteurs olfactifs
(permettant, donc, de distinguer une grande variété
d'odeurs).
Un exemple moins concret, mais de plus
grave conséquence: c'est la duplication de chromosomes
entiers, a proposé il y a 30 ans le généticien
californien Susumu Ohno, qui serait responsable de rien
de moins que l'évolution rapide des vertébrés,
il y a des centaines de millions d'années. Une
évolution, donc, sans laquelle nous ne serions
pas là pour parler.
Ou peut-être serions-nous là,
mais alors, nous serions un animal ressemblant à
un mollusque, ou à une mouche, ou à tout
autre invertébré, c'est-à-dire
une bestiole sans squelette.