
Le 29 octobre 2002

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Quand la sécurité nationale met ses pattes
dans la recherche
(Agence Science-Presse) - Les événements
du 11 septembre ont eu des répercussions jusque dans
la recherche scientifique: des chercheurs étrangers
en poste aux États-Unis se sont retrouvés
sous surveillance, des laboratoires où étaient
manipulées des substances potentiellement dangereuses
ont vu leurs travaux ralentis, voire bloqués. C'est
tout le secteur de la recherche biomédicale qui,
depuis l'an dernier, s'inquiète des restrictions
en cours, et de celles qui menacent de s'ajouter, telles
des épées de Damoclès.
Les politiciens répliquent à
cela que face aux menaces terroristes, ils n'ont pas d'autres
choix, et les citoyens, pour qui la science reste une réalité
fort lointaine, ne s'en inquiètent pas.
Et pourtant. La guerre froide en fut une,
de ces époques où la sécurité
nationale était invoquée à propos de
tout. Le niveau d'anxiété, lors des sommets
de cette crise américano-soviétique était
au moins égal à celui que l'on connaît
maintenant. Et pourtant, la recherche scientifique n'y a
jamais été sur la sellette au point où
elle l'est maintenant.
Le gouvernement fédéral américain,
rappelle la revue américaine Science,
avait certes tenté de limiter les échanges
d'informations dans certaines disciplines liées aux
mathématiques ou à la physique, craignant
que cela ne contribue par exemple au développement
des armes nucléaires soviétiques. Avec un
succès mitigé: si les savants soviétiques
étaient évidemment, eux, très limités
dans leurs déplacements, leurs collègues américains
n'ont jamais eu des agents de la CIA collés à
leurs semelles ou des laboratoires mis sous scellés.
Même la National Academy of Sciences avait conclu,
en 1982, en pleine ère Reagan, que la sécurité
internationale serait davantage renforcée par un
climat d'ouverture à la connaissance scientifique
que par une interdiction des échanges.
Et l'administration Reagan elle-même,
que l'on ne peut certainement pas accuser d'avoir été
pro-soviétique, avait répliqué par
la Directive de sécurité nationale no. 189,
où on lisait que "la politique de cette administration
(est que) autant que possible, les produits de la recherche
fondamentale doivent demeurer exempts de restrictions".
On est loin d'une attitude aussi ouverte aujourd'hui:
lorsque les autorités américaines parlent
de "protéger les informations" qui compromettraient
la sécurité, leurs définitions sont
si vagues qu'elles peuvent s'appliquer à une foule
de recherches pharmacologiques, génétiques,
agricoles ou médicales.
Au cours de la Deuxième guerre mondiale,
le projet Manhattan, qui a conduit à la création
de la première bombe atomique, a établi une
culture du secret parmi les physiciens nucléaires,
poursuit Science. Mais il n'y a rien de tel dans
les sciences de la vie, et on voit mal où on pourrait
tracer la ligne entre ce qui est dangereux et ce qui ne
l'est pas, spécialement à la vitesse électronique
où circulent les informations aujourd'hui, par exemple
dans le domaine des gènes...
Qui plus est, plusieurs institutions de prestige,
dont le Massachusetts Institute of Technology (MIT), refusent
tout projet de recherche classé "secret", parce que
le concept même de secret, disent-ils, entre en contradiction
avec leur mission d'éducation.
Est-ce la vision du MIT qui va l'emporter,
ou bien celle de la Maison-Blanche? Cela dépendra
de la façon dont la communauté scientifique
prendra position dans ce débat, au cours des mois
et des années à venir. Si elle reste globalement
silencieuse, la culture du secret et de méfiance
progressera, petit pas par petit pas.
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