L'un des rats de laboratoire préférés
des scientifiques du monde entier est un ver d'un
millimètre de long appelé le Caenorhabditis
elegans (ou C. elegans). Il est intéressant,
parce que son espérance de vie n'est que
de quatre semaines: lorsqu'on fait des expériences
sur lui, il n'y a donc pas longtemps à attendre
pour voir si ça fonctionne. C'est d'ailleurs
l'étude approfondie de ce ver et de ses gènes
qui a valu au biologiste britannique John Sulston
le Prix Nobel de médecine il
y a quelques semaines.
Mieux encore, plus les biologistes
l'étudient, et plus ils s'étonnent
des ressemblances entre ce ver et nous. Ainsi, écrit
une équipe américaine dans la revue
britannique Nature, il est frappé,
à l'âge adulte (deux semaines!) par
les
mêmes problèmes musculaires qui commencent
à frapper les humains dans la quarantaine
ou la cinquantaine.
Or, voici que d'autres scientifiques
américains viennent de démontrer qu'il
est possible de retarder l'apparition de ces problèmes,
et de doubler l'espérance de vie du ver,
en modifiant un seul gène.
Ce n'est pas la première fois
qu'on se penche sur les gènes de cette bestiole.
Dès 1996, des chercheurs de l'Université
McGill, à Montréal, avaient identifié
les gènes reliés à son "horloge
biologique", et étaient parvenus, dans les
cas les plus extrêmes, à multiplier
par sept l'espérance de vie du C. elegans.
Mais à un coût énorme: le ver
ne bougeait pratiquement plus, ne mangeait plus,
ne faisait plus aucune activité -et bien
sûr, ne se reproduisait plus.
Cette fois, les
"effets secondaires" ne semblent pas être
aussi graves, assure Cynthia Kenyon, de l'Université
de Californie à San Francisco, qui a dirigé
cette recherche que publie cette semaine la revue
Science. La clef réside dans le moment
de la vie du ver où le gène en question
est réduit au silence. "Bloquer ce gène
après que le ver eut atteint l'âge
adulte augmente son espérance de vie, sans
affecter sa reproduction", explique-t-elle dans
les pages du New Scientist.
Est-ce un pas vers des humains qui
vivraient 200 ans? Interrogée par la BBC,
Monica Driscoll, de l'Université d'État
Rutgers, au New Jersey, qui dirige l'autre recherche,
sur les problèmes musculaires, explique que
"une fois que vous avez compris ce qu'une molécule-clef
fait dans ce ver, vous
pouvez regarder chez les humains et vous attendre
à ce que la même chose se produise...
Nous pouvons maintenant nous imaginer en train de
faire quelques ajustements qui pourraient nous aider
à vivre avec des muscles plus en santé
pendant plus longtemps."
Mais entre "vivre plus longtemps"
avec des muscles plus en santé, et vivre
deux fois plus longtemps, il y a une marge, que
la Dr Cynthia Kenyon, elle, ne franchit pas. Le
New Scientist prévient au passage
que le fait que ce ver ne semble pas avoir de problème
de reproduction ne signifie pas que d'autres problèmes,
moins apparents, n'aient pas surgi dans sa biologie.
Les chercheurs ont encore de quoi
s'occuper pendant longtemps...