Ce n'est pas une blague. A mesure
que les génomes s'accumulent, les scientifiques
commencent à parler de "métagénome":
c'est-à-dire la somme des gènes des
espèces -animaux, végétaux
et microbes- qui peuplent un habitat.
Compliqué? Oui et non. Oui,
parce que déjà, la somme de données
composant un seul génome est énorme:
notre génome, par exemple, compte 30 000
gènes, se décomposant eux-mêmes
en 3 milliards de paires de bases. Multipliez cela
par les centaines d'animaux et de plantes qui peuplent
un écosystème, et vous commencez à
avoir une idée du problème.
Mais comme le démontrent les
génomes jusqu'ici décodés,
plusieurs de ces gènes se répètent,
de l'humain à la souris en passant par le
chien et le plant de riz. L'analyse de ces ressemblances
-et des différences- ne permettrait-elle
pas d'apprendre quelque chose, si on considérait
le tout dans la perspective, plus large, d'un écosystème
tout entier?
C'est la question que pose le Dr Jo
Handelsman, spécialiste des maladies des
végétaux à l'Université
du Wisconsin, à
qui on doit l'expression "métagénomique"
pour désigner ce qu'il aimerait voir devenir
une nouvelle discipline.
Il n'est pas le seul, puisque depuis
une dizaine d'années, d'autres termes ont
été proposés dans le petit
monde de la génomique pour désigner
cette réalité en devenir: génomique
des communautés, génomique environnementale.
Ou, dans l'univers de l'infiniment petit: génomique
des populations microbiennes.
C'est du côté de ces
dernières que la métagénomique
a déjà fait ses premiers pas. Décoder
les génomes de tous les microbes présents
dans une cuillerée de terre, d'eau... ou
dans notre intestin! Au moins, dans de tels cas,
"l'écosystème" est suffisamment restreint.
Et encore: il peut y avoir des milliers d'espèces
microbiennes différentes dans une cuillerée
à thé de sol! "Un millilitre d'eau
de mer, au sens génétique, contient
plus de complexité que le génome humain",
explique au New York Times Edward F. DeLong,
chercheur principal à l'Institut de recherche
de l'Aquarium Monterey Bay (Californie).
Et c'est ça qu'ils veulent
étudier? Sont-ils fous? Non, du moins pas
plus que ceux qui, il y a 15 ans, prétendaient
pouvoir décoder le génome humain.
La
"métagénomique", c'est l'étape
suivante.
Ainsi, Edward F. DeLong, un autre
pionnier de cette métagénomique, a
récemment raconte avoir découvert,
en plongeant dans les profondeurs de ces génomes
microbiens, une
protéine sensible à la lumière
qui pourrait avoir des applications dans les futurs
ordinateurs optiques. Jo Handelsman associe une
de ses recherches métagénomiques dans
des échantillons de sol à la découverte
de ce qui sera peut-être un futur antibiotique,
la zwittermicine A.
Même le mégalo de la
recherche génétique, le Dr Craig Venter,
pénètre ce nouveau domaine, avec des
recherches dans la mer des Sargasses, une zone de
l'Atlantique près des Bermudes, connue pour
ses algues flottantes, et où il prétend
avoir d'ores et déjà découvert
"plus de nouveaux gènes que dans le génome
humain".
Il faut se rappeler que plus de 99%
des bactéries ne peuvent pas être "cultivées"
en laboratoire, avec pour résultat que les
scientifiques n'en connaissent pratiquement rien.
Par conséquent, prenez une poignée
de terre ou une pincée de mer, et vous allez
ramasser au passage des séquences génétiques
encore inconnues. Le défi étant, bien
sûr, de remettre ensuite ces séquences
dans le bon ordre: quels gènes vont avec
quelle bactérie...
Bactéries qui peuvent être
à la source de nouveaux antibiotiques; ou
de médicaments réduisant le taux de
cholestérol; ou qui peuvent brûler
l'hydrogène en vue de produire un carburant
vert; ou qui peuvent nettoyer des polluants; ou
réduire le taux d'acidité dans une
mine. La quête de ces gènes inconnus
fait rêver aussi bien les biologistes que
les chimistes et les ingénieurs. Après
le rêve du décodage du génome
humain, voilà le rêve suivant...