
Le 8 mars 2005

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De Jésus à Salomon: fraudeur d'antiquités
en Israël
(Agence Science-Presse) - Le lecteur se souvient
peut-être de ce tombeau de "Jacques, frère
de Jésus" qui, retrouvé en 2003 en Israël,
s'est finalement avéré être un faux.
Mais ce tombeau n'était que la pointe de l'iceberg:
fin-décembre, cinq "fraudeurs archéologiques"
ont été condamnés devant un tribunal
isréalien.
Au même moment, le Musée d'Israël
à Jérusalem retirait de son exposition un
de ses plus précieux artefacts: une grenade le
fruit, pas l'arme en ivoire dont l'inscription proclame
qu'elle a été utilisée par les prêtres
du Temple de Salomon, il y a donc entre 25 et 30 siècles.
Malheureusement, c'est un faux, ont avoué
les cinq hommes. Et comme ils en ont avoué d'autres,
la communauté archéologique israélienne
s'est lancée ces derniers mois dans un difficile
débat: comment les artefacts devraient-ils être
authentifiés? En fait, comment se fait-il que dans
une région aussi riche en archéologie, et
dont les artefacts sont de surcroît susceptibles de
toucher les cordes les plus sensibles qui soient les
religions comment se fait-il que des processus d'authentification
rigoureux n'aient pas été mis en place depuis
des décennies?
La question que pose le journaliste Haim Watzman
dans la dernière édition de la revue Nature
est gênante pour les musées israéliens:
l'opinion des experts sur un artefact tel que cette grenade
n'est-elle demandée à la dernière minute
que pour donner un semblant de justification à un
achat de 550 000$?
Le journaliste donne notamment la parole à
Yuval Goren, qui mena l'enquête sur la fausse grenade
l'an dernier et, auparavant, sur le faux tombeau "Jacques,
frère de Jésus". Ce directeur du département
d'archéologie et des cultures anciennes à
l'Université de Tel-Aviv tente de jeter un pont entre
les chimistes qui privilégient l'analyse microscopique
et les historiens et experts en langues mortes: les deux
stratégies doivent être menées de front,
affirme-t-il.
Il y a une vingtaine d'années que le
musée d'Israël a acheté la grenade en
ivoire, mais ce n'est qu'en 2003 que des doutes sérieux
ont surgi, lorsque deux objets "célèbres"
ont surgi de nulle part. L'un d'eux était le tombeau,
ou plus exactement un ossuaire du type de ceux utilisés
à l'époque romaine. L'inscription complète
était "Jacques fils de Joseph frère de Jésus".
Des paléographes (spécialistes des écritures
anciennes) et des archéologues l'ont déclaré
aussitôt authentique, tandis que d'autres ont affirmé
qu'il s'agissait d'un faux.
L'Autorité israélienne des antiquités
a donc demandé une enquête sur ces objets,
formant à cette fin deux comités, l'un composé
d'experts en sciences naturelles, l'autre d'experts en sciences
humaines. Faisant partie de ce dernier comité, Yuval
Goren a établi que la patine (le dépôt
qui se forme sur les objets anciens) de l'ossuaire, sur
et autour de l'inscription, contenait des coccolithes, c'est-à-dire
des fossiles microscopiques de créatures marines.
De tels fossiles n'auraient pas pu se trouver là
à la suite d'un processus naturel: les fraudeurs
avaient probablement forgé leur patine eux-mêmes.
Autrement dit, quelqu'un avait effacé la patine ancienne,
avait refait l'inscription, et ajouté par-dessus
une nouvelle patine.
Interrogé par le journaliste de Nature,
le conservateur du musée d'Israël, Michal Dayagi-Mendels,
y voit la conséquence "triste mais inévitable"
des percées scientifiques permettant de débusquer
les fraudeurs. "Les tests qui sont faits maintenant n'auraient
pas pu être faits lorsque nous avons fait l'acquisition"
de la grenade. Yuval Goren n'est pas d'accord: "les méthodes
que j'utilise (...) sont disponibles et peu coûteuses".
Le microscope électronique n'est qu'une nouvelle
façon de faire les mêmes analyses, et les mêmes
résultats auraient pu être obtenus avec un
microscope normal dans les années 1980, dit-il. "Ce
n'est pas un problème de méthode scientifique
mais d'éthique."
Il y aurait intérêt à
soigner l'éthique, compte tenu des émotions
qui sont sur la table. Le Temple de Salomon, détruit
il y a 20 siècles, est l'un des lieux les plus sacrés
de la mémoire juive le mur des Lamentations
serait, selon la tradition, tout ce qui en subsiste. Et
la colline sur laquelle il aurait été construit
serait, toujours selon la tradition, celle sur laquelle
s'élève aujourd'hui le Dôme du Rocher
et la mosquée Al-Aqsa, troisième plus important
lieu saint de l'Islam. Résultat, tout objet qui aurait
pu faire partie de ce Temple est au moins aussi important
pour les juifs... qu'un tombeau du frère de Jésus
le serait pour les chrétiens. Les fraudeurs n'ont
pas choisi leurs "artefacts" au hasard...
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