La pollution n'est pas une invention du XXe
siècle. Les sociétés dites primitives
rejetaient leurs déchets sans se soucier de l'environnement.
Et des sociétés nomades ont laissé
des traces de leurs passages pas toujours propres dans toutes
les couches de sédiments des rivières avoisinantes.
Mais l'industrialisation a évidemment
amplifié le problème. Désormais, ce
qu'on jette, ce sont des objets qui mettent des siècles
à se dégrader. Et certains émettent
des composés toxiques dans le sol, l'eau et l'air.
L'un de ces objets s'appelle l'automobile. Et les gaz qu'elle
émet représentent à eux seuls le tiers
des émanations de CO2 de la planète.
Ce qui représente d'ailleurs le coeur
du premier des quatre problèmes auxquels fait face
Kyoto, et dont on entendra (encore) parler cette semaine
dans les médias.
Problème no 1: la réduction
des gaz à effet de serre n'aura pas lieu. Après
moult compromis étalés sur plusieurs années,
les pays signataires du Protocole de Kyoto se sont contentés
d'un objectif bien modeste: réduire d'ici 2012 leurs
émissions de gaz à un niveau inférieur
de 5% à celui de 1990. Or, dans certains cas, les
émissions ont à ce point augmenté depuis
1990 qu'une pareille réduction est irréaliste:
dans le cas du Canada par exemple, pareille réduction
signifierait... faire disparaître toutes les automobiles
et tous les camions.
Qui plus est, l'entente ne concerne que les
pays industrialisés, et non la Chine et l'Inde...
où le nombre de voitures triple tous les cinq ans!
Enfin, parmi les pays industrialisés,
les Etats-Unis et l'Australie n'ont pas signé.
Le cas canadien
Emissions de gaz à effet de serre, en mégatonnes
1990
|
2002
|
Objectif 2012
|
609
|
731
|
571
|
Problème no 2: les sceptiques gagnent
du poil de la bête. Certes, ces sceptiques ont
dans leur camp le Président Bush lui-même,
qui s'est toujours rangé du côté de
ceux qui mettent en doute que l'humain soit responsable
de l'actuel réchauffement.
L'éternel argument de ces enviro-sceptiques,
c'est bien sûr que la Terre s'est réchauffée
et refroidie par elle-même tout au long de son histoire.
Une étude parue cette semaine dans Science
affirme justement que ces cycles ont été plus
nombreux qu'on ne le croyait (plus de détails dans
notre article Changements
climatiques: y en a eu beaucoup).
Ces sceptiques peuvent désormais ajouter
à leur camp le célèbre auteur américain
Michael Crichton, dont le roman State of Fear, paru
en décembre, met en scène des scientifiques
et des écologistes prêts à toutes les
manipulations de l'opinion publique pour faire valoir leur
cause (voir
ce texte).
Problème no 3: que pouvons-nous faire? Si les
transports représentent le tiers des émissions
de gaz polluants, le citoyen moyen peut évidemment
se passer de sa voiture chaque fois que possible. Il peut
aussi privilégier l'achat local, quand cela permet
de choisir entre un aliment qui a été transporté
sur 2000 km et un autre qui provient de sa cour arrière.
Mais avant toute chose, il doit penser pressions
politiques. Car les deux autres tiers, c'est tout de même
l'industrie qui en est responsable. Or, si les citoyens
continuent de reléguer la protection de l'environnement
au bas de leurs listes de priorités, le Président
Bush ne sera pas le seul chef d'Etat à n'avoir aucune
raison de mettre de la pression sur les industries polluantes
(plus de détails dans notre article de cette semaine
Les
Etats-Unis et l'environnement, ça fait deux)
Problème no 4: Et si c'était pire qu'on ne
le dit? L'avenir pourrait en effet être encore
plus catastrophique qu'annoncé. Selon une étude
de l'Université Oxford publiée à la
fin-janvier à Londres, l'augmentation de la température
au cours du prochain siècle pourrait se situer entre
1 et 11 degrés, plutôt qu'entre 1 et 6 degrés,
comme l'annonçaient les études antérieures.
Pis encore, quand on aura dépassé
le seuil des 2 degrés, on aura du même coup
dépassé un point de non-retour, assurent ces
mêmes chercheurs: parce que ces 2 degrés supplémentaires
signifieraient qu'on a dépassé le seuil des
400 parties de carbone atmosphérique par million,
seuil à partir duquel le fond des océans,
les tourbières et les marais commenceront à
relâcher leur propre carbone dans l'atmosphère.
Bref, un seuil critique à partir duquel le réchauffement
commencerait à s'accélérer.
Certes, une prévision vaut ce qu'elle
vaut. Mais les enviro-sceptiques et les Michael Crichton
de ce monde ont tort de ne s'appuyer que sur l'incertitude
derrière ces prévisions, disait le biologiste
Claude Villeneuve en fin de semaine, à l'émission
radiophonique Les
Années-lumière: c'est un peu comme
le médecin qui ne peut pas nous dire exactement combien
de cigarettes on peut se permettre de fumer encore; cela
ne l'empêche pas de dire qu'il faut arrêter
de fumer.
Pascal Lapointe