
Le 9 janvier 2006

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Le Watergate du clonage
(Agence Science-Presse) - C'est grâce
à des journalistes que l'histoire du faux clonage
de cellules-souches est d'abord apparue sur la place publique.
Mais le manque de courage de leurs patrons a failli faire
mourir l'affaire dans l'uf.
Tout commence le 1er juin 2005 soit
plus de cinq mois avant ce que disent les chronologies
publiées jusqu'ici. Ce jour-là, un courriel
est envoyé à l'émission PD Notebook,
émission de journalisme d'enquête diffusée
sur le réseau sud-coréen MBC (Munhwsa Broadcasting
Corporation). Selon
ce qu'a raconté l'un des réalisateurs,
Kim Bo Seul, l'auteur écrit que "sa conscience le
trouble" à cause de problèmes liés
aux recherches du Dr Hwang Woo Suk.
Le moment est important: deux semaines plus
tôt, l'équipe dirigée par le Dr Hwang,
de l'Université nationale de Séoul, a publié
dans la prestigieuse revue américaine Science un
deuxième article majeur en 15 mois, où elle
affirme avoir réussi un clonage de 11 lignées
de cellules-souches différentes.
Un autre réalisateur de l'émission,
Han Hak Soo, rencontre l'individu quelques jours plus tard.
Celui-ci lui aurait alors expliqué avoir fait partie
de l'équipe qui a conduit au premier article, celui
de février 2004. Il est d'accord pour donner une
entrevue, en autant que son identité soit cachée.
Il y déclare qu'en dépit des allégations
du Dr Hwang, celui-ci a bel et bien obtenu des ovules d'étudiantes
participant à ses recherches (une entorse à
l'éthique, compte tenu des pressions subies) et fournit
des noms. Par ailleurs, il émet des doutes sur les
résultats de mai 2005 (le clonage des 11 lignées
de cellules) mais ne peut fournir aucune preuve là-dessus.
L'équipe de PD Notebook recrute
alors trois scientifiques extérieurs aux recherches
de Hwang, qui commencent à identifier des problèmes
possibles avec l'article de mai 2005. Les journalistes obtiennent
également des entrevues à visage découvert
avec des co-signataires de cet article, en prétendant
préparer un documentaire sur les biotechnologies
en Corée du Sud. Un
stratagème qui leur sera plus tard reproché,
puisque c'est par cette voie détournée qu'ils
constatent permet que la majorité des co-signataires
n'ont jamais vu les cellules-souches clonées.
Suivant la piste de l'Hôpital MizMedi
de Séoul, d'où pourraient provenir les lignées
de cellules-souches, les journalistes demandent et
obtiennent de cet hôpital les données
d'ADN de 15 lignées de cellules-souches d'embryons.
Par une de leurs sources à l'Université, ils
obtiennent un échantillon d'une des 11 lignées
soi-disant clonées et la font analyser par un laboratoire
indépendant: le 19 octobre, celui-ci conclut qu'il
s'agit d'une copie d'une des lignées provenant de
l'hôpital.
Autrement dit, PD Notebook a maintenant
un argument très solide pour affirmer que dans au
moins un des 11 cas, l'équipe du Dr Hwang n'a pas
cloné de cellules-souches à partir de patients
adultes.
Parallèlement, le 20 octobre, le réalisateur
Han Hak Soo et son journaliste commettent un autre accroc
à l'éthique journalistique: de passage aux
Etats-Unis, ils interrogent Kim Sun Jong, un des co-signataires
de l'article de mai 2005, mais sans lui dire qu'ils le filment
avec une caméra cachée. Le Dr Kim est désormais
employé à l'Université de Pittsburgh
sous l'égide du Dr Gerald Schatten. Croyant qu'une
enquête judiciaire est sur le point de commencer en
Corée du Sud, il reconnaît que, à la
requête du Dr Hwang, il a pris plusieurs photos de
deux lignées de cellules-souches de telle façon
qu'elles semblent représenter 11 lignées différentes.
PD Notebook est dès lors prêt
à lancer sa bombe. Mais auparavant, le 11 novembre,
le Dr
Gerald Schatten annonce qu'il met fin à sa relation
avec le Dr Hwang en raison d'inquiétudes sur des
"accrocs à l'éthique" dans la récolte
d'ovules. Toutefois, il réitère sa confiance
dans les résultats de la recherche.
C'est le 22 novembre que le reportage est
diffusé. Il porte en bonne partie sur la question
des ovules ayant conduit à l'article de 2004: des
étudiantes du groupe de recherche figuraient parmi
les donneuses, certaines ont subi des pressions, et Hwang
a menti tout le long à ce sujet. Deux jours plus
tard, Hwang admet son erreur en conférence de presse
et démissionne de son poste du nouveau Réseau
sud-coréen des cellules-souches.
Or, en dépit de cette admission, c'est
PD Notebook qui est blâmée. Alors que
l'émission fait savoir qu'un deuxième reportage
est en préparation, celui-là portant sur l'authenticité
des résultats de mai 2005, deux des chercheurs dénoncent
la façon dont ils ont été "trompés"
par les journalistes dont Kim Sun Jong, victime de
la caméra cachée. Quelque 20 000 courriels
de protestation sont envoyés au réseau MBC,
en plus de menaces de mort par téléphone.
Quant à la popularité du Dr Hwang, elle est
plus élevée que jamais!
Le 4 décembre, MBC suspend
PD Notebook et décide de ne pas diffuser le
deuxième reportage.
L'histoire a donc failli mourir à ce
moment. Mais c'était sans compter la façon
dont fonctionne la science. Le 5 décembre, un courriel
anonyme est envoyé à un service d'information
hyper-spécialisé destiné aux jeunes
chercheurs sud-coréens, BRIC (Biological Research
Information Center). Intitulé, en anglais, "The show
must go on", le courriel invite les lecteurs à chercher
des photos dupliquées dans l'article de mai 2005,
ajoutant: "j'en ai trouvé deux!"
Plus de 200 messages suivent en moins de deux
jours, plusieurs identifiant effectivement des photos qui
ne sont que des copies les unes des autres. Le 7 décembre,
Hwang reconnaît avoir, "par inadvertance", dupliqué
les photos. Mais déjà, sur le forum du BRIC,
un autre courriel pointe des données d'ADN des soi-disant
clones qui ne seraient que des copies d'ADN d'embryons déjà
connus. Ces informations émergent dans les médias
sud-coréens, puis font le tour du monde.
Le 12 décembre, l'Université
nationale de Séoul annonce la tenue d'une enquête.
Le vent de l'opinion publique tourne. Et le 15 décembre,
MBC diffuse finalement le deuxième reportage de PD
Notebook, incluant les aveux obtenus avec caméra
cachée. Le lendemain, Hwang
demande que l'article de mai 2005 soit retiré des
archives électroniques de Science.
L'enquête se poursuit. Demeure la question
de savoir qui savait quoi, parmi les co-signataires. Et
le forum du BRIC est plus animé que jamais.
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