L'article désormais honni était
arrivé dans la boîte de courriel de Science
le 15 mars 2005, raconte
cette semaine la journaliste Jennifer Couzin, dans les pages
de Science. Immédiatement, les chefs de
la rédaction y ont vu un contenu potentiellement
explosif: premier clonage "en série" de cellules-souches,
réalisé par la même équipe de
l'Université nationale de Séoul qui, 13 mois
plus tôt, avait décrit le premier clonage réussi
de cellules-souches.
Première étape: l'article fut
envoyé à deux membres du Bureau de révision,
qui ont 48 heures pour dire si un article mérite
de figurer parmi les 30% d'articles reçus qui sont
envoyés à un comité d'experts pour
une révision. Le 18 mars, ayant reçu un avis
favorable de ces deux personnes (que la revue a refusé
d'identifier), l'article était envoyé à
un comité de trois experts en cellules-souches. Ils
avaient une semaine pour donner leur avis. Après
cela, six autres experts allaient être appelés
à examiner l'article, à des degrés
différents.
Aujourd'hui, on le sait, les 11 lignées clonées
de cellules-souches décrites dans cet article
n'existent pas: le comité d'enquête de
l'Université nationale de Séoul a conclu
le 29 décembre que le Dr Hwang Woo Suk, l'auteur
principal, a maquillé les données d'ADN
et inversé les photos.
Science aurait-elle pu détecter la
fraude? Dans cet article publié par elle-même,
la revue Science répond, sans surprise,
que Non. Mais des spécialistes des cellules-souches
viennent également à sa rescousse: si
une fraude est bien faite, elle peut échapper
à l'il d'un comité de révision,
même formé d'experts. Le système
des comités d'experts (peer-review)
n'est pas infaillible, explique Martin Blume, rédacteur
en chef des neuf journaux de la Société
américaine de physique.
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A
lire aussi:
Il
a publié et il a péri
Clonage:
que se passe-t-il en Corée (synthèse
- semaine du 19 décembre)
La
chronologie des événements
La
section spéciale de la revue Science
|
En revanche, la force de la méthode
scientifique, c'est que de telles fraudes sont tôt
ou tard révélées au grand jour:
d'autres chercheurs vont essayer de reproduire les
résultats et n'y parviendront évidemment
pas, ou bien ils examineront plus en détail
les données des "découvreurs" et en
constateront rapidement les failles.
Qui plus est, à l'heure d'Internet,
ce type d'information circule encore plus vite.
Dans l'esprit du public, "le
spectre de la fraude" plane au-dessus des laboratoires,
écrit Bettyann Holtzmann Kevles, de l'Université
Yale, dans le Washington Post: certains cas
célèbres comme l'homme de Piltdown (voir
notre dossier) sont passés à l'Histoire.
Mais ces exemples sont justement célèbres
parce qu'ils sont rares.
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A gauche et à droite, deux
photos censées représenter deux lignées
différentes, qui se sont révélées
être des photos différentes de la même
lignée. L'auriez-vous remarqué?
(photo fournie par Science)
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La course à la publication
Ceci dit, les fraudeurs ont aujourd'hui un
coup de pouce de "l'industrie" scientifique elle-même:
la course à la publication. Science, comme
toutes les autres revues de prestige, souhaite publier des
premières, parce qu'elles génèrent
de la publicité, dans la communauté scientifique
et dans les médias. Pour un chercheur, de la publicité
signifie davantage de sous, et peut-être la gloire.
Cette pratique n'est pas sans risque. Partout
sur la planète, gloire et argent sont un incitatif
à la fraude: le scandale canadien des commandites
en est l'écho, tout comme les chutes d'Enron, WorldCom
et autres géants de l'économie des années
1990.
Est-ce qu'on pousse un peu trop dans le dos
des comités de réviseurs au point où
ils vont bâcler leur travail? C'est ce que suggère
le généticien Denis Duboule, de l'Université
de Genève (et membre du Bureau des réviseurs
de Science). L'article du Dr Hwang dont il est question
ici a été accepté 58 jours après
sa réception, pas mal moins que la moyenne des 81
jours.
Certains journaux scientifiques ont entrepris
des réformes pour au moins limiter les dégâts:
par exemple, depuis 2000, le Journal de l'Association
médicale américaine et d'autres de ses
semblables exigent de chaque co-auteur qu'il détaille
quelle fut sa contribution à la recherche. Si l'un
d'eux veut tricher, il doit le faire en sachant que ses
collègues le sauront. Cette politique n'est pas implantée
chez Science (ni son principal concurrent, Nature),
avec pour résultat qu'on ignore qui savait quoi,
parmi la quinzaine de personnes qui ont co-signé
l'article avec le Dr Hwang.
Et le Dr Hwang est le seul à avoir
subi l'opprobe jusqu'ici. Encore que, vu de l'étranger,
le scandale ait éclaboussé toute l'Université
nationale de Séoul.
Pascal Lapointe