Le médicament a-t-il été 
                      mal dosé? Y a-t-il eu contamination? S'agit-il d'une 
                      erreur du manufacturier? Ou ce premier test du médicament 
                      chez des humains démontre-t-il simplement que 
                      ces derniers réagissent différemment des animaux? 
                    
                    Car le médicament, est-il besoin de 
                      le rappeler, avait auparavant fait l'objet, comme c'est 
                      systématiquement l'usage, de tests chez des singes. 
                      Et avant cela, sur des lapins. Et avant cela, sur des tissus 
                      en éprouvette. Par conséquent, s'il s'est 
                      rendu jusqu'à l'étape des essais cliniques, 
                      c'est parce qu'à toutes ces étapes préalables, 
                      il a apporté des résultats encourageants, 
                      voire très encourageants. 
                    Que des cobayes rémunérés 
                      subissent des effets secondaires n'a rien de rare dans l'univers 
                      des essais cliniques: cela fait partie des risques du métier. 
                      Mais que ces cobayes en bonne santé, âgés 
                      de 18 à 30 ans, subissent des défaillances 
                      subites aux quatre coins de leur organisme qui ont failli 
                      les faire mourir tous les six, est 
                      aussi inattendu qu'incompréhensible. 
                    "Une machine lui vide les poumons. Sa poitrine 
                      est gonflée, son visage tout enflé, de couleur 
                      violette et jaune", a 
                      décrit à la BBC l'amie d'un des cobayes. 
                    
                    L'anticorps qu'ils testaient devait en théorie 
                      stimuler le système immunitaire pour l'aider à 
                      combattre les cellules cancéreuses. 
                    
                      Les secrets du système immunitaire
                    L'idée n'est pas nouvelle. Il y a des 
                      années que les biologistes tentent de tracer un lien 
                      entre le système immunitaire et le traitement du 
                      cancer: ils savent par exemple qu'à la surface des 
                      cellules appelées lymphocytes T, combattantes par 
                      excellence de notre système immunitaire, réside 
                      un récepteur, le CD28. C'est à ce récepteur 
                      que s'accroche l'anticorps dont il est question ici (TGN1412). 
                      L'espoir est que, avec ce coup de pouce, le système 
                      immunitaire combatte non seulement le développement 
                      des cellules cancéreuses, mais puisse aussi combattre 
                      les inflammations causées par l'arthrite rhumatoïde.
                    
                       
                        | Ces objectif peuvent paraître 
                            ambitieux, mais ils sont au contraire tout à 
                            fait vraisemblables, au vu des avancées de 
                            la médecine des 15 dernières années. Mais un échec aussi spectaculaire 
                            illustre peut-être que le système immunitaire 
                            est plus complexe qu'on ne le soupçonnait. 
                            Celui-ci "est capable d'une puissance extraordinaire, 
                            de sorte qu'il faut être très prudent 
                            lorsque nous jonglons avec lui", résume pour 
                            les soins de Nature l'immunologiste Louis Weiner, 
                            du Centre Fox Chase sur le cancer à Philadelphie. 
                           | A 
                            lire aussi:  L'idée 
                            d'utiliser le système immunitaire pour combattre 
                            le cancer est dans l'air depuis des années. 
                            Voir par exemple ce texte de 2001 sur une recherche 
                            québécoise en cours depuis 10 ans: Un 
                            traitement innovateur contre la leucémie 
                               Plus 
                            récemment, des chercheurs australiens ont proposé 
                            de modifier 
                            génétiquement nos globules blancs, 
                            armes du système immunitaire, pour en faire 
                            de meilleures combattantes anti-cancer.  | 
                    
                    Et c'est cette puissance extraordinaire qui 
                      est probablement derrière le drame qui s'est produit 
                      à Londres, chez ces six cobayes: le médicament 
                      a sans doute déclenché une "sur-stimulation 
                      catastrophique" du système immunitaire, risque le 
                      New Scientist. Une "super-réponse du 
                      système, envoyant des globules blancs à travers 
                      l'ensemble du corps, détruisant ses propres tissus" 
                      comme s'ils étaient des corps étrangers. 
                    Or, il se trouve que le TGN1412 est un anticorps 
                      différent des autres: il est justement conçu 
                      pour générer une réponse immunitaire 
                      plus forte que les anticorps classiques. Mieux encore, 
                      le chercheur américain Peter Linsley avait écrit 
                      en mars 2005 que cette super-stimulation, qui n'existe pas 
                      dans la nature, risquait "d'attaquer des tissus sains, 
                      sans discrimination". Cela rend donc plus vraisemblable 
                      l'hypothèse du New Scientist quoique 
                      cela n'explique pas qu'une réponse aussi catastrophique 
                      n'ait eu lieu ni chez les singes, ni chez les lapins, même 
                      quand on sait que ceux-ci n'ont pas cette protéine 
                      CD28. 
                    La compagnie allemande TeGenero, fabricante 
                      du médicament, s'est murée dans un mutisme 
                      la semaine dernière. L'enquête 
                      des autorités médicales britanniques révélera 
                      peut-être où ce médicament a aussi magistralement 
                      failli. Mais quelle que soit la réponse, elle vient 
                      de donner un coup de massue à tous les laboratoires 
                      qui, à travers le monde, expérimentent différentes 
                      formules pour stimuler le système immunitaire.