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La vie au congélateur
On croirait lire un récit du siècle dernier:
des savants ont découvert des formes de vie inconnues,
au fond d'une lointaine vallée oubliée... Mais
il ne s'agit pas ici de dinosaures ou de King Kong ; et il ne
s'agit certainement pas d'une vallée tropicale.
C'est l'un des derniers endroits inaccessibles de la planète,
et un point de départ pour la recherche de vie extra-terrestre:
on l'appelle le lac Vostok. Il a une profondeur de 210 mètres
et une surface similaire au Lac Ontario. Mais il est invisible
à l'oeil nu: il est dissimulé par plus de trois
kilomètres et demi de glace, en plein coeur du continent
glacial antarctique.
Pas moins de trois articles lui sont consacrés dans
la dernière édition de la revue Science,
qui témoignent d'un effort international autour de ce
lac dont l'inaccessibilité n'a d'égal que la fascination
qu'il crée : c'est un endroit qui n'a pas reçu
de pluie depuis au moins un million d'années ; un endroit
où la température au-dessus de lui n'a jamais été
supérieure à moins 50 degrés Celsius ; un
endroit qui n'a pas reçu le moindre rayon de soleil depuis
une éternité. Et pourtant, c'est un
endroit où, on en est maintenant presque sûr, la
vie a réussi à s'accrocher.
Et si elle a pu s'accrocher là, dans l'un des endroits
les plus inhospitaliers de la Terre, alors elle a peut-être
pu s'accrocher sur un monde comme Europe, cette lune de Jupiter
recouverte d'une couche de glace de plusieurs kilomètres
d'épaisseur.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, parmi les commanditaires
des recherches menées autour du lac Vostok, on retrouve
la Nasa. Et ce n'est pas un hasard non plus si chacun des trois
articles fait, dans sa conclusion, une allusion pas si subtile
à la lune Europe.
Donc, trois articles : dont un qui porte sur le lac lui-même,
et non sur la vie (qu'est-ce que c'est que ce lac, comment s'est-il
formé, quel âge a-t-il, etc.). Car avant de déterminer
s'il y a de la vie là-dessous, encore faut-il déterminer
ce
que c'est que cet environnement.
Le lac Vostok est le plus grand et le plus profond des 68
lacs dormant sous la calotte glaciaire du Pôle Sud. On
connaît l'existence de certains de ces lacs depuis les
années 70 (le lac Vostok a été ainsi nommé
parce qu'il se trouve en-dessous de l'ex-station scientifique
soviétique Vostok), mais ce n'est que ces dernières
années que des échos radars ont permis d'en établir
les dimensions. On présume qu'il est demeuré à
l'état liquide, sur une profondeur d'un peu plus d'environ
210 mètres, grâce à une combinaison de chaleur
dite géothermique, c'est-à-dire émanant
de la terre, au-dessous de lui, et de la pression créée
par les kilomètres de glace au-dessus de lui. Ce premier
article donc, piloté par une équipe du CNRS français,
sous la direction de Jean Jouzel présente, isotopes à
l'appui, des indices suivant lesquels la partie inférieure
du lac se serait formée il y a au moins un million d'années,
et qu'à la suite d'un refroidissement du climat, le lac
serait demeuré à peu près tel quel depuis
420 000 ans.
Des carottes de glace y sont été prélevées
depuis le début des années 90, dans le but, à
l'origine, d'en apprendre davantage sur le climat des derniers
millénaires. La profondeur atteinte constitue aujourd'hui
un record mondial. En 1998, une équipe franco-américano-russe
prélevait des échantillons de glace au plus profond
de ce puits, et c'est sur eux que se sont penchées les
deux équipes responsables des deux autres articles. La
première, dirigée par John C. Priscu, de l'Université
du Montana, a planché sur un morceau de glace de tout
juste 50 centimètres de long, dont la profondeur d'origine
allait entre -difficile d'être plus précis- 3588,9
mètres et 3589,4 mètres. Une profondeur capitale,
puisqu'elle ne se trouve plus qu'à 120 mètres au-dessus
du niveau supérieur du lac : autrement dit, l'eau y est
encore gelée, mais on est juste assez près du lac
pour espérer y trouver de quoi d'intéressant, sans
risquer de contaminer le lac lui-même.
Et c'est effectivement là, dans ce minuscule espace,
que les chercheurs ont identifié des " bactéries
dans des concentrations relativement élevées ".
De la vie, là où nul ne l'aurait cru possible il
y a seulement 20 ans. Ou plus exactement, de la vie préhistorique
: ces micro-organismes semblent morts depuis longtemps. Qui plus
est, la biodiversité de cet environnement était
peu élevée, ce qui n'a rien d'étonnant dans
un environnement pareil. Mais ces bactéries sont de proches
parentes de bactéries tout à fait communes que
nous côtoyons aujourd'hui.
Cette découverte est corroborée par celle
de la troisième équipe, qui a travaillé
sur un autre fragment, mais cette troisième équipe
va plus loin. Elle affirme, elle, avoir mesuré la respiration
de ces bactéries. En d'autres termes, résument
ces chercheurs dirigés par David M. Karl, de l'Université
d'Hawaii, non seulement y a-t-il de la vie au lac Vostok, mais
cette vie n'est pas complètement " gelée "
: lorsqu'on la " réveille " -en haussant la
température jusqu'à 3 degrés Celsius- elle
se remet à respirer.
Après un sommeil de 420 000 ans!
Mais encore ?
Tout ceci peut sembler aride pour le profane. Mais ce n'est
pas tous les jours qu'on découvre un nouvel écosystème
sur notre planète, aussi modeste soit-il. Et surtout,
ce n'est pas tous les jours qu'on en découvre un qui ouvre
autant de perspectives sur les écosystèmes qui
auraient pu s'accrocher sur d'autres planètes, tout aussi
inhospitalières que les profondeurs de l'Antarctique.
Reste à résoudre trois problèmes, résume
Warwick F. Vincent, du Centre d'études nordiques de l'Université
Laval, dans une synthèse que publie également Science.
Tout d'abord, d'autres recherches devront être effectuées,
pour apporter une complète assurance que, en dépit
de toutes les précautions prises en 1998, ces bactéries
ne sont pas le résultat d'une contamination amenée
par les visiteurs humains. Ensuite, si elles sont de l'Antarctique,
d'où proviennent-elles ? Sont-elles originaires du lac
Vostok, où ont-elles été amenées
là au fil des âges par des infiltrations d'eau extérieures
?
Enfin, troisième problème et non le moindre,
comment s'assurer que l'écosystème unique au monde
du lac Vostok ne sera pas, au cours des prochaines années,
irrémédiablement détruit par la recherche
scientifique ? Déjà, les forages soulèvent
une inquiétude écologique. Ils ont bien pris soin
de s'arrêter à 120 mètres au-dessus de la
couche supérieure du lac, mais qui sait s'ils ne sont
pas déjà allés trop loin ? Warwick Vincent
rappelle qu'en mai 1999, lors de la 23e rencontre consultative
sur le Traité de l'Antarctique, la Russie a déposé
un rapport environnemental sur les opérations du lac Vostok,
qui contenait une constatation inquiétante : le trou résultant
du forage a été gardé ouvert pendant les
huit années qu'ont duré ces opérations,
grâce à l'injection d'un mélange d'essence
-provenant des avions qui ravitaillent la station russe- et de
fréon. En tout, jusqu'à 60 tonnes de ce mélange
reposent maintenant dans les trois kilomètres et demi
du trou, dont une tonne dans la section la plus proche du lac.
Cette quantité rend impossible son retrait, encore moins
son transport en-dehors du continent antarctique. Il suffirait
de peu de choses -un forage un peu plus profond, par exemple-
pour que ce liquide " pollue l'un des derniers réservoirs
d'eau primitive de cette planète ".
Et ce ne serait vraiment pas un exemple à donner aux
biologistes qui, un jour, creuseront des trous sur d'autres planètes...
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