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Un chromosome, et puis après?
A moins d'avoir passé la semaine sur une île
déserte, vous savez sûrement, maintenant, qu'un
chromosome humain complet a été, pour la première
fois, décodé. Mais ceci étant fait, où
s'en va-t-on maintenant ? Même ceux qui ont annoncé
ce décodage n'en sont pas sûrs.
Ce
décodage est la première phase d'une révolution
biologique, entend-on dans la bouche de tous les scientifiques
qui ont été invités à commenter cette
nouvelle. "Nous commençons à écrire
un nouveau livre", résume d'une autre façon
le biochimiste britannique Peter Little, dans une analyse
complémentaire publiée par Nature.
Nature, qui a publié dans son édition
du 2 décembre l'article
détaillant ce décodage, co-signé par
environ 220 scientifiques répartis dans une dizaine de
centres de recherches des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de
Suède, du Japon et du Canada. Il
leur aura fallu pas moins de 10 ans pour compléter
ce "séquençage" des 700 gènes
du chromosome 22 (sur les 70 000 à 100 000 qui composent
un être humain) ou, pour les initiés, 33 millions
de paires de bases -ce qui équivaut à un livre
de 33 millions de lettres sans espaces ni ponctuation !
"C'est la première fois que nous possédons
un chapitre entier du grand livre de l'humanité et c'est
réellement incroyable. C'est probablement un des plus
grandes réalisations de l'humanité dans le domaine
scientifique, avec la découverte de l'atome et la marche
sur la Lune", a estimé Francis Collins, qui dirige
ce programme international HUGO (Human Genome) au sein des National
Institutes of Health américains.
Et ce livre, poursuit Peter Little, lorsqu'il sera complété,
marquera le 3e millénaire. Il transformera la façon
dont nous nous voyons nous-mêmes, au moins autant que nous
ont transformé les autres livres qui ont marqué
les deux derniers millénaires : les grands livres des
religions et L'Origine des espèces.
L'ambition est énorme, on le voit. Mais il est vrai
que le but final l'est aussi : ce " livre des gènes
" (qui, lui, ressemblera à un livre de 3 milliards
de lettres sans espaces ni ponctuation!), une fois complété,
contiendra littéralement tout ce qui compose un individu
à sa naissance. En fait, l'ensemble du livre ne sera probablement
jamais complété -après les gènes,
il y aura les protéines, et après elles, qui sait
quoi encore. Mais complété ou pas, il n'en aura
pas moins un impact majeur sur la médecine, la santé
publique, et même l'avenir de l'espèce humaine.
"Je pense vraiment que ce que nous avons annoncé
aujourd'hui sera utilisé pour le prochain millier d'années"
a renchéri le Dr Michael Dexter, directeur du Wellcome
Trust -important organisme subventionnaire privé.
Qu'est-ce que ça change ?
Fort bien. Nul ne doute, de toutes façons, de l'importance
que pourrait prendre la génétique, pour le meilleur
et pour le pire, dans les décennies et les siècles
à venir. Mais en quoi le décodage d'un et un seul
chromosome est-il aussi important, alors qu'il y en a 45 autres
dans tout être humain et que celui-ci, de surcroît,
n'est qu'un des deux plus petits ?
Parce qu'il est le premier complété, bien sûr,
et que l'étape est symbolique. Mais aussi parce que les
techniques expérimentées pour décoder celui-ci
servent d'ores et déjà à décoder
les autres -et que dès lors, le travail ne peut que progresser
de plus en plus vite. Oubliez l'année 2003, si souvent
citée, comme moment où l'ensemble du génome
humain -les 46 chromosomes- devrait avoir été "cartographié".
Désormais, c'est plutôt de 2001 qu'il faudrait parler.
Dès le printemps prochain, un premier brouillon devrait
être déposé par le projet HUGO.
Outre cela, le chromosome 22 était déjà
connu pour abriter les gènes qui, lorsqu'ils sont défectueux,
sont
associés à au moins 27 maladies ou désordres
(affections du système nerveux, trisomie 22, certains
problèmes cardiaques et surtout, schizophrénie),
et c'est une des raisons pour lesquelles il a été
choisi en premier.
Mais il ne faut pas
s'imaginer qu'on a désormais mis le doigt sur le gène
d'une maladie du foetus ou sur celui de la schizophrénie.
Dans le cas du chromosome 22 comme dans le cas du reste du génome
humain, ce qui est en voie d'être complété,
c'est la cartographie, et rien de plus : autrement dit, on peut
désormais identifier tel gène à tel endroit
; mais il reste énormément du chemin à faire,
sans doute des décennies de recherche, pour pouvoir dire
à quoi servent tous ces gènes.
Enfin, il
y a des trous. Si on veut être entièrement exact,
il faut écrire que l'ensemble du chromosome 22
n'a pas vraiment été cartographié. Il subsiste
11 " trous ", représentant environ 3% du total,
chacun large de quelques milliers de ce qu'on appelle les paires
de base (sur les 3,5 milliards que compte l'ensemble de notre
bagage génétique). Ce sont des séquences
qu'il a été impossible de cloner, impossible de
classer, impossible de faire interagir. "Plusieurs morceaux
d'ADN font vraiment des choses étranges lorsque vous essayez
de travailler avec eux, et nous n'avons aucune idée pourquoi."
Bref, conclut Peter Little, qu'y a-t-il de révolutionnaire
dans cette annonce? Pas grand-chose. Sauf une promesse des temps
à venir.
Travail d'équipe
En soi, la révolution est peut-être que ce travail
ait pu être mené jusqu'au bout par une équipe
aussi vaste, quand on connaît les rivalités intenses
qui animent la génétique depuis quelques années
: ce n'est plus seulement le projet "officiel" HUGO,
ce sont au moins trois compagnies privées (Celera Genomics,
en tête de liste) qui
sont engagées dans la course au décodage du génome
humain. Et s'il y a une course, c'est parce qu'il y a de
l'argent à la clef, beaucoup d'argent : le premier qui
aura découvert "le" gène responsable
d'une maladie incurable, et qui aura déposé un
brevet sur "la" modification génétique
qui combattra cette maladie, pourra se faire une fortune. Multipliez
cela par 100 000 gènes, et vous avez une idée du
pactole qui dort dans vos cellules.
Et pourtant, en dépit de cette perspective, le travail
sur le chromosome 22 a
pu être mené à terme sans que quiconque ne
se tire dans les pattes. Mieux encore, au fur et à
mesure qu'il avançait, le travail était rendu disponible
sous la forme de banques de données électroniques
-de sorte que des mois avant la parution de cet article dans
Nature, des groupes avaient déjà commencé
à utiliser certaines de ces données pour étudier
certains des gènes nouvellement découverts. Voilà
quelque chose, souligne Nature dans un article en forme
de commentaire, qu'il faudrait garder en mémoire. Les
politiques restrictives qu'imposent certains laboratoires (ceux
de la compagnie Celera, en particulier) quant au dévoilement
de leurs données ont fait, jusqu'ici, plus de mal que
de bien.
Qui sait, peut-être que "le nouveau monde"
annoncé par les généticiens est là...
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