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WASHINGTON - S’il y avait une image pour résumer une demi-douzaine d’ateliers disparates du dernier congrès de l’AAAS, ce serait celle ci-contre. Pendant que, de tous les secteurs scientifiques, arrivent des constats inquiétants sur l’avenir de notre planète, de l’autre côté, les scientifiques reconnaissent que ces constats n’ont aucun poids, face à quiconque demeure convaincu de pouvoir tout régler avec des solutions simples.

« Au cours du dernier siècle, les deux tiers des grands poissons prédateurs sont disparus des océans », a dit par exemple le biologiste Villy Christensen, de l’Université de Colombie-Britannique, dans un de ces ateliers tenus à Washington la semaine dernière. « Nous insistons beaucoup, dans ce rapport, sur la nécessité d’agir, parce que les conséquences d’une inaction, ou d’un report des décisions, seront sévères », lit-on dans un rapport britannique sur L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture , publié à l’intention des décideurs. La hausse de la population à 9 milliards accentuera le recul de ressources comme l’eau, a renchéri dans un troisième atelier John Casterline, de l’Initiative de recherche sur les populations à l’Université de l’Ohio.

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Et ce n’est pas comme si le congrès n’avait pas été riche en pistes de solutions. Le rapport britannique consiste justement en un exposé des priorités nécessaires au développement d’une agriculture « plus durable », depuis l’amélioration de la productivité (nouvelles technologies, semences améliorées génétiquement, etc.) jusqu’à une réduction des pertes (au moins un tiers de la nourriture produite dans le monde est perdue avant d’atteindre le consommateur) en passant un meilleur contrôle de la volatilité des prix (la crise de 2008 a été accentuée par des pays qui ont mis subitement fin à leurs exportations de blé, de peur d’en manquer).

Chacune de ces recommandations ne doit pas être prise isolément, insistent les auteurs :

La solution n’est pas seulement de produire davantage de nourriture, de changer nos diètes ou d’éliminer les déchets... Il est essentiel que les décideurs politiques attaquent tous ces problèmes en même temps.

Mais au-delà de cette étude, ce qui amplifie le problème, c’est notre culture de la croissance, dénonce Robert Costanza, de l’Université de Portland, Oregon. « La culture de la croissance qu’on a créée depuis 50 ans n’est plus durable. » C’est-à-dire cette idée qui veut que notre mode de vie et notre bonheur soient inextricablement liés à une croissance économique perpétuelle.

« Il faut qu’on en arrive à voir la Terre comme un système fermé », c’est-à-dire cesser de ne considérer que notre ville ou notre pays, pour considérer l’ensemble de la planète. Parce qu’un système fermé, ça a toujours des limites. Les scientifiques ont pris l’habitude de dire que nous utilisons une fois et demi notre planète (1,4 fois, pour être exact) : ça ne peut pas durer éternellement.

Changer la culture

Ce ne sont pas des réflexions nouvelles. Nature publiait en 2009 une étude qui tentait de calculer les limites des ressources planétaires. Des environnementalistes proposent depuis quelques années de mettre un prix sur les services que nous rendent les écosystèmes, tandis que des économistes proposent depuis plus longtemps encore d’autres indices que le PNB pour calculer la véritable santé économique d’une nation (le Genuine Progress Indicator , par exemple).

Mais l’idée de « changer de culture » est trop complexe pour passer facilement la rampe. Pour l’instant, les changements que les gouvernements osent entreprendre sont « l’équivalent de changer les chaises de place sur le pont du Titanic », a lancé Peter Raven, du Jardin botanique du Missouri. En partie parce que nous vivons dans des pays où l’urgence d’agir ne pèse pas : les premiers affectés par les changements climatiques seront les pays plus pauvres. Ce seront également eux qui connaîtront les prochaines émeutes de la faim (les prix des aliments étaient, en décembre et janvier, à un niveau record).

Le rapport britannique cité plus haut fixe comme échéance symbolique 2050, mais ses auteurs sont conscients que les crises qu’ils entrevoient commenceront plus tôt, si notre société n’effectue pas de sérieux virages. Interrogé dimanche dernier sur ce qu’il voit à l’horizon de la présente décennie, l’auteur principal, Charles Godfray, déclarait :

La chose qui m’inquiète le plus, est une vraie crise mondiale de l’eau. Pour prendre un exemple particulier, si vous regardez le Nord de l’Inde, qui a été pourtant un grand succès pour produire de grandes quantités de blé —sans éliminer la famine, mais une belle réussite en terme de lutte contre la pauvreté— beaucoup de ce panier de blé repose sur des nappes d’eau souterraines qui seront épuisées dans un proche avenir. Je crois que c’est une de ces raisons d’être inquiet, qui pourraient surgir à court terme plutôt qu’à long terme.
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