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Réunissez 450 passionnés de la vulgarisation scientifique, de surcroît engagés à fond dans les blogues et les médias sociaux, et vous aurez nécessairement une pincée de politique, sans la partisanerie.

Parce que, même si on essaie d’être le plus neutre possible, communiquer, ça veut dire faire un choix. Quiconque s’identifie comme journaliste scientifique, ou blogueur, ou communicateur, envoie comme message qu’il devrait y avoir plus d’information scientifique dans notre société. Et face à des gens qui détestent la science, cette personne court le risque d’être cataloguée.

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La question politique était souvent en filigrane du congrès Science Online 2012 , rassemblement annuel, en janvier en Caroline du Nord, de ces passionnés de communication scientifique à la sauce Science 2.0. C'est le sujet de notre émission de cette semaine avec Pascal, qui y a consacré quelques articles.

C’est qu’avec un aussi grand nombre de scientifiques et de journalistes qui expérimentent de nouveaux moyens de communication, il y en a nécessairement qui se retrouvent en train de défendre une cause. Par exemple, la vaccination: n’arrive-t-il pas un moment où il vaut mieux baisser les bras que de dépenser son énergie à faire changer d’idée des gens impliqués dans les mouvements anti-vaccination? John Timmer, rédacteur en chef des contenus scientifiques à Ars Technica et James Hrynyshyn, journaliste, répondent à cette question.

Avec Jean-Claude Bradley, de l’Université Drexel à Philadelphie, on pénètre un tout autre territoire de la science 2.0, non moins politique : la « science ouverte », ou libre accès aux données scientifiques. Le mouvement, qui dit que les recherches devraient être accessibles à tous, et gratuitement, gagne en force depuis 15 ans, mais ne tarde-t-il pas à se faire connaître? Et se pourrait-il qu’il soit freiné par les éditeurs scientifiques qui sont derrière un projet de loi, le Research Works Act, déposé en décembre à Washington?

Enfin, on s’entretient avec Shawn Otto, auteur de Fool Me Twice , réflexion en profondeur sur l'importance de jeter des ponts entre science et politique. À la question de son atelier « La démocratie peut-elle fonctionner dans l’âge de la science? », il répond par l'affirmative, tout en admettant que le climat politique actuel, aux États-Unis, n’est guère favorable à un débat rationnel. Mais paradoxalement dit-il, cela pourrait être favorable à un éventuel Science Debate 2012 —amener les candidats à parler de science : la polarisation du débat a été telle cette année qu’une fois la véritable campagne présidentielle engagée, les médias pourraient être en demande d’un peu plus de rigueur. « Si nous sommes capables de faire avancer les joueurs du premier but jusqu’au deuxième but, ce sera déjà un progrès. »

Nos invités :

En musique : Science Online : The Music Video, par Carin Bondar, sur une musique de Pink.

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Je vote pour la science est diffusée le mardi à 11h à Radio Centre-Ville (102,3 FM Montréal). Vous trouverez sur cette page des liens vers les émissions précédentes. Pour en savoir plus sur l'initiative Je vote pour la science, rendez-vous ici. Vous pouvez également nous suivre sur Twitter et nous télécharger sur iTunes.

+++++++++++++ Transcription de la première partie

Isabelle Burgun (IB) : Vulgariser la science, est-ce que c’est politique? Pascal, tu es allé en janvier en Caroline du Nord, à un congrès annuel sur les blogues de science. À première vue, on voit mal où est le lien science et politique...

Pascal Lapointe (PL) : C’est un congrès annuel de passionnés de la vulgarisation, qui réfléchissent sur de nouvelles façons de communiquer à l’heure d’Internet : blogues, baladodiffusions, mais aussi comment faire participer le public à la science, comment partager l’information plus vite...

Et il y a de la politique là-dedans, parce que, même si on essaie d’être le plus neutre possible, communiquer, ça veut dire faire un choix. On est journalistes scientifiques, ça a deux conséquences : premièrement, on envoie comme message qu’on juge qu’il devrait y avoir plus d’information scientifique dans les médias et deuxièmement, face à des gens qui détestent la science, on court tout de suite le risque d’être catalogués.

IB : Comment arriver à capter l’attention de ces gens-là?

PL : C’est toute la difficulté de la vulgarisation. Et comment le faire en 2012, à l’heure d’Internet, c’est la raison d’être de ce congrès, Science Online.

IB : Ça regroupait qui?

PL : 450 personnes, c’était la limite qu’ils s’étaient fixés, et il y avait une liste d’attente. Les deux tiers étaient scientifiques ou étudiants en science, ce qui veut dire qu’il y avait un gros contingent de gens dans la vingtaine et la jeune trentaine. L’autre tiers était composé de journalistes et rédacteurs en chef, de relationnistes d’universités, plus quelques bibliothécaires.

Leur point commun, c’est qu’ils sont tous très branchés. Ils sont presque tous sur Twitter, la majorité ont un blogue, un grand nombre font du vidéo, de la photo, ou de l’infographie, ou donnent des conférences pour les jeunes.

IB : Ils doivent vraiment avoir l’impression de former une communauté.

PL : Ça fait même partie des intentions des organisateurs : que tout le monde se sente faire partie d’un groupe. Pour qu’il y ait un maximum de partage d’informations, de conversations virtuelles, bref, que le concept de Web 2.0 fonctionne à plein régime.

Avec un aussi grand nombre qui expérimentent de nouveaux modes de communication, il y en a nécessairement qui se retrouvent en train de défendre une cause. Le journaliste Chris Mooney intervient depuis des années pour pointer du doigt le détournement de la science par des politiciens. Son collègue Seth Mnookin a écrit Panic Virus un livre qui a fait de lui une des cibles préférées des groupes anti-vaccination.

IB : Il y a des sujets plus controversés que d’autres.

PL : C’est ce qui explique qu’il y a eu deux ateliers où une sorte d’examen de conscience s’est fait : est-ce qu’il n’y a pas des moments où on perd notre temps à essayer de faire changer d’idée des gens qui sont idéologiquement convaincus? Ceux, par exemple, qui sont convaincus que la vaccination infantile est une mauvaise chose : face à eux, l’expert se heurte à un mur.

Il y avait des communicateurs qui disaient carrément : faut baisser les bras, il y a des circonstances où aucun argument rationnel n’arrivera jamais à convaincre ces gens-là. Après un de ces ateliers, j’ai posé la question à John Timmer, rédacteur en chef des contenus scientifiques au webmagazine Ars Technica.

John Timmer : Je pense qu’il y a des gens qui peuvent être convaincus. Et les scientifiques sont l’exemple classique. Des gens qui sont ouverts à des idées nouvelles, parce qu’ils basent la totalité de leur carrière sur la prémisse qu’ils peuvent être pris en défaut, qu’on peut leur donner tort.

Ce segment de la société, qui est scientifiquement orienté, vous pouvez le faire changer d’idée. Si vous trouvez un ingénieur, ou un physicien, qui se trouve à être quelqu’un qui nie le réchauffement climatique à cause de la communauté où il vit, vous auriez une bonne chance de le faire changer d’avis parce que vous pourriez faire appel à sa sensibilité scientifique.

Il y a des gens, toutefois, qui ne changeront probablement jamais d’avis. Parce qu’ils sont si anti-science, si convaincus de certaines choses, qu’il n’y a vraiment rien à faire.

PL : J’ai posé la même question à James Hrynyshyn, qui est journaliste scientifique en Caroline du Nord et blogueur. C’est possible de faire changer d’idée ces gens?

James Hrynyshyn (JH) : C’est possible, ça va prendre du temps et des efforts. Vous pouvez convaincre des gens dans un large groupe, mais je ne pense pas que vous convaincrez jamais tout le groupe. Je ne pense pas non plus que vous puissiez prédire à l’avance qui va répondre à quelle méthode.

IB : Qu’est-ce qu’il veut dire, par d'autres méthodes?

PL : Il y a des publics pour qui faire venir une personne qui n’a rien à voir avec la science peut être la solution. Pour reprendre l’exemple des groupes opposés à la vaccination : faire intervenir une mère qui, elle, a jugé important de faire vacciner ses enfants, aura beaucoup plus de poids que toutes les recherches médicales qu’on pourrait vulgariser.

Et le Kansas. Là-bas, les environnementalistes ont réussi quelque chose d’étonnant. C’est un État très conservateur, avec un gros pourcentage de gens qui croient que le réchauffement climatique est un genre de complot des intellectuels de l’Est. Les environnementalistes ont choisi comme tactique de cesser d’essayer d’expliquer la science du climat. Ils ont plutôt parlé d’économies d’électricité à des agriculteurs qui opèrent d’énormes exploitations bovines. Ils ont parlé d’énergies renouvelables à des républicains désireux de voir les USA se libérer de leur dépendance au pétrole étranger.

Et ça marche. Le Kansas est devenu un des plus gros producteurs d’énergie éolienne au pays. Et tu as des gens qui ne croient toujours pas aux changements climatiques, mais qui sont devenus des experts en technologies vertes.

IB : On est loin de la vision traditionnelle du transfert d’information, qui dit : ce groupe est ignorant, je vais lui insuffler mes connaissances, et il va comprendre.

PL : En effet, même les neurosciences commencent à découvrir que notre cerveau ne fonctionne pas comme ça, et il y avait d’ailleurs un atelier là-dessus au congrès. Il faut donc cesser de voir la vulgarisation scientifique comme « le savant » qui parle, mais plutôt comme une sorte de dialogue, chaque fois que c’est possible. On écoute à nouveau James Hrynyshyn.

JH : Une des études sur la cognition culturelle a découvert qu’un groupe de gens, qui étaient généralement contre la science des changements climatiques, y répondaient plus positivement si la science était présentée depuis la perspective de l’énergie nucléaire. Ils étaient très enthousiastes à l’égard du nucléaire, et si vous leur présentiez celui-ci comme une solution aux changements climatiques, ils étaient plus enclins à accepter la science.

C’est une des façons de reconnaître que la solution à notre problème, ce n’est pas la science elle-même, il y autre chose qui bloque. Et si vous reconnaissez ce que c’est, et que vous le ciblez, vous pouvez rapprocher ces gens de la science.

IB : Pour des journalistes scientifiques, ce n’est pas une découverte. Les journalistes essaient d’expliquer depuis longtemps aux scientifiques que pour mieux communiquer, il faut s’ajuster à son public.

PL : Mais un congrès comme celui-là, en rassemblant des scientifiques et des journalistes, est une occasion pour obliger des scientifiques déjà intéressés par la vulgarisation, à venir apprendre quelque chose, à partir de l’expérience de gens qui sont déjà passés par là.

Deuxième partie : la « science ouverte »

IB : Il y a un volet de la communication scientifique qui concerne les scientifiques qui échangent entre eux, mais qui va tout de même avoir des répercussions sur le grand public. On appelle ça « l’open science », ou la science ouverte, ou le libre accès aux données scientifiques.

Dans la recherche médicale par exemple un grand nombre de recherches sont financées par l’industrie pharmaceutique, et l’industrie conserve jalousement ses secrets. Beaucoup de scientifiques voudraient changer ça, et Internet offre l’opportunité de diffuser plus largement l’information. (écoutez la suite, à la 9e minute)

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