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Les plaques tectoniques bougent... à la vitesse des plaques tectoniques. Aux États-Unis, les changements climatiques se sont glissés parmi les enjeux abordés au cours de ces dernières semaines de campagne présidentielle. Mais très discrètement.

Le 18 octobre, la secrétaire d’État Hillary Clinton a déclaré qu’il était temps pour son pays de s’attaquer à «la menace très réelle des changements climatiques». Dans un discours prononcé à l’Université Georgetown de Washington, elle a énuméré les défis en matière d’énergie, et glissé que les forages pétroliers sur le point de commencer dans l’Arctique pourraient conduire à une «véritable catastrophe écologique».

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Quant au président Obama, il a profité de quelques occasions, la plus importante étant la Convention nationale démocrate elle-même, pour déclarer que «le réchauffement climatique n’est pas un canular».

Oui, mon plan continuera de réduire la pollution par le carbone qui réchauffe notre planète. Parce que le réchauffement climatique n’est pas un canular. Davantage de sécheresses et d’inondations et de feux de forêt ne sont pas une blague. Ils sont une menace pour le futur de nos enfants.

Les écologistes l’ont vu comme une réplique aux politiciens républicains les plus radicaux, mais surtout comme une réaction à un commentaire de son adversaire, Mitt Romney, qui lui avait reproché en août, comme s’il s’agissait là d’une blague, de trop s’intéresser à la hausse du niveau des océans.

Sondages favorables au climat?

Mais s’ils commencent à timidement parler du climat, c’est peut-être aussi parce que ces politiciens lisent les sondages. Non seulement les Américains semblent-ils plus inquiets des changements climatiques qu’en 2011, selon une enquête de l'Université Yale parue le 18 octobre. Mais surtout, selon un sondage Bloomberg paru en septembre, les électeurs indépendants sont plus susceptibles d’admettre que l’humain soit en partie responsable du réchauffement. «Prendre une position pro-climat est politiquement gagnant, spécialement pour les démocrates», a alors commenté le directeur du Centre de recherche sur la communication des changements climatiques à l’Université George Mason.

Ceci dit, on reste loin d’un enjeu prioritaire. Aucun des trois débats présidentiels n’a eu la moindre question sur le climat, une première depuis... 1984, souligne Climate Science, un groupe créé cet automne à seule fin de souligner le «silence» des candidats.

L’animatrice du deuxième de ces débats, Candy Crowley, a admis que, dans sa liste des questions (soumises par le public), il y en avait effectivement une sur le sujet, mais «nous n’avons pas eu le temps». Et plusieurs analystes s’attendaient à ce que le troisième débat, le 22 octobre, parce qu’il portait sur la politique étrangère, soit l’occasion ou jamais. Pour Michael Levi par exemple, du Conseil des relations extérieures, non seulement l’énergie est-elle au coeur d’une bonne partie de la politique étrangère américaine mais énergie et climat sont indissolublement liés :

Le réchauffement climatique est un important problème planétaire. Vous n’avez pas besoin d’être convaincus d’une catastrophe imminente pour y croire —vous avez juste à accepter que nous courons un très gros risque.

Le climat est devenu un dossier tabou à Washington à l’été 2010. En réalité, l’intérêt déclinait depuis au moins trois ans, mais en juillet 2010, le projet de loi sur le climat et l’énergie, en préparation depuis sept ans, a été finalement balayé sous le tapis (voir L’occasion perdue). Depuis, les élus qui s’en étaient fait les défenseurs ont quitté la vie politique ou ont cessé prudemment d’en parler.

Les crackpots de la science

Et il n’y a pas que le climat. L’extrême polarisation du discours politique à Washington ces dernières années, entraîne la science dans son sillage. Plus tôt ce mois-ci, les médias révélaient qu’un élu républicain, membre du Comité des sciences de la Chambre des représentants, avait déclaré que les scientifiques étaient «des instruments du démon». Dans un discours partisan qui s’est retrouvé sur YouTube, Paul Broun, de Georgie, en avait aussi profité pour souligner avec fierté qu’il ne croyait ni à l’évolution, ni au Big Bang, ni à l’embryologie, mais bien à la création de la Terre en six jours, «il y a 9000 ans».

Quelques semaines plus tôt, son collègue Todd Akin, républicain du Missouri, s’était fait connaître du monde entier en déclarant qu’une femme victime d’un «vrai viol» ne peut pas tomber enceinte grâce à certains «mécanismes biologiques». Todd Akin siège lui aussi sur le comité des sciences de la Chambre des représentants.

[Ajout, 24 octobre] Encore un: en Indiana, le candidat républicain au Sénat Richard Mourdock a déclaré lors d'un débat, le 23 octobre, que si une femme tombe enceinte des suites d'un viol, c'est ce que Dieu voulait.

Et c’est sans compter le président du sous-comité sur les changememts climatiques, John Shimkus, qui est climatosceptique. Tout comme son collègue sur le même comité, Joe Barton, lui qui a déclaré que le vent «est la façon dont Dieu régule la chaleur», et qu’en conséquence, les éoliennes contribuent au réchauffement du climat.

Le 23 août, un chroniqueur politique du New York Times titrait «le caucus des crackpots».

Sur les questions de science de base et de connaissances révisées par les pairs, de l'évolution aux changements climatiques en passant par les mathématiques fiscales élémentaires, plusieurs républicains au pouvoir s'élèvent à un niveau d'ignorance qui leur ferait chauffer les oreilles, même dans une salle de classe médiévale.

Ça explique peut-être pourquoi, la semaine dernière, 68 Nobels scientifiques ont tenu à signer une lettre conjointe où ils annoncent leur appui à Obama (un geste similaire avait été posé en 2008). Mais ça fait craindre aussi que les plaques tectoniques aient encore un bout de chemin devant elles.

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