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Par la petite porte, les pratiques qualifiées de naturelles (kinésiologie, massothérapie, acupuncture, yoga, méditation, etc.) entrent à l’hôpital. Ce qu’on appelle « médecine intégrative » progresse en Amérique du Nord, et le Québec vit lui aussi des expériences en la matière.

Il s’agit par exemple, en marge d’un traitement — par exemple, ceux de radiations ou de chimiothérapie pour l’oncologie — de proposer au patient de se faire masser ou de suivre des cours de yoga. « Les exercices (étirements, spinning…) sont supervisés et adaptés à chaque personne avec la prescription du médecin traitant. Nous visons une amélioration de la qualité de vie et donc la santé de manière plus globale », explique le Dr Jean-Pierre Guay, radio-oncologue du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et président-fondateur de la Fondation Virage.

Cette fondation propose depuis 1986 un éventail de services (art-thérapie, nutrition, etc.) aux patientes du service de cancérologie du CHUM. Le tout prend la forme d’une programmation communiquée aux patientes au sein même de la salle d’attente.

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Rosanne Charpentier témoigne que ça l’a aidé à passer à travers de ses traitements pour son cancer du sein et à lutter contre son sommeil très perturbé. Massage, kinésiologie, cours de yoga: « entre janvier et l’été, je n’ai presque pas manqué une activité. Ça aide et ça occupe. Lors de l’activité, on se sent vivant. Nous ne sommes plus juste des malades», confie la patiente du CHUM.

Un virage à la demande des patientes

Il y a donc 30 ans qu’a vu le jour ce groupe d’entraide, à la demande de patientes en cancérologie, et à l’origine pour résoudre des problèmes de transport et d’hébergement. Les réunions avec les patientes ont fait émerger d’autres demandes : des prothèses adaptées, de l’écoute... « Nous avons répondu à des besoins de base et peu à peu, nous avons ajouté d’autres disciplines, explique le Dr Guay.

La médecine intégrative suscite une vague d’intérêt dans le milieu universitaire. L’Université McGill accueillait le 3 juin 2016 un Symposium sur la santé complémentaire où l’on présentait la médecine intégrative – ce qui a fait l’objet de critiques. Selon une consultation américaine, l’absence de preuves basées sur des recherches scientifiques constitue l’un des principaux freins: 39 % contre 44 % pour la résistance des médecins et 65 % pour le manque de budget.

« Je n’ai rien contre offrir de l’espoir et je pense que les gens ont besoin d’espoir et d’optimisme », relevait pour WebMD, le professeur à l’École médicale de l’Université Harvard et médecin au Centre médical Beth Israel Deaconess de Boston, le Dr Tom Delbanco. « Là où j’ai des problèmes, c’est lorsqu’on propose aux gens des choses qui ne sont pas réelles ».

Cette approche de soins personnalisée serait apparue dans les années ’90 aux États-Unis et connaît une forte progression dans les hôpitaux américains depuis. De nombreux centres médicaux universitaires s’y intéressent et sont regroupés dans un consortium de centres académiques de santé en médecine intégrative (Academic Consortium for Integrative Medicine & Health) qui comprendrait aujourd’hui 69 institutions membres.

Au Québec, en plus du CHUM et de centres de santé dits « alternatifs », un seul autre hôpital commence à offrir ce type de traitement, celui de Maisonneuve-Rosemont, sous l’impulsion du Dr Christian Boukaram. « Contrairement au CHUM, le centre de soins reste extérieur de l’hôpital », précise le Dr Guay.

Cathy Bazinet, éditrice et fondatrice  de e-santé communication et qui s’intéresse à l’internet collaboratif entre patients et professionnels de la santé, relève trois aspects importants de cette approche trop souvent polarisée : le corps (acupuncture, massage), le corps et l’esprit (yoga, méditation) et l’aspect biologique (nutrition). « Dans les cas de cancer, il y a une perte de contrôle sur son corps avec le diagnostic et les machines. Cette approche va donner aux patientes le sentiment d’être proactives », dit la communicatrice en santé. En retrouvant un tonus musculaire et en s’occupant d’elles, les patientes trouvent une forme d’apaisement.

« L’accent va être mis sur l’amélioration de sa qualité de vie et l’espoir de contrer ou d’amoindrir les effets secondaires des traitements. Cela n’est pas forcément un signe de non-satisfaction des soins mais ça vise un bien-être alternatif », poursuit Cathy Bazinet.

Rosanne Charpentier se dit curieuse mais «  je ne suis pas prête à essayer n’importe quoi. Je n’irai pas du côté de l’alimentation naturelle, j’ai une alimentation très variée. Je ne suis pas du genre à me poser de grandes questions existentielles mais il faut avoir confiance en son médecin », relève-t-elle.

La patiente — 90 % des participants sont des femmes d’un âge moyen de 60 ans et majoritairement affectées d’un cancer du sein — se joint à l’activité qui l’attire. « Avec le yoga, on apprend à respirer et à se détendre. Et la massothérapie, c’est tellement bénéfique pour le corps qui est tellement agressé par les traitements. Ce sont des mains magiques qui font beaucoup de bien. En plus, il y a le groupe qui permet d’échanger et d’avoir du soutien », raconte Rosanne Charpentier.

Chercher la preuve

Faire du bien, favoriser le contact humain, prendre un temps d’arrêt pour soi. De belles raisons pour faire ce virage naturel mais le sceptique s’interroge sur la validité de ces soins naturels intégrés au traitement. Cette médecine intégrative ne présenterait « aucune preuve scientifique que les interventions naturelles soient toujours supérieures aux autres », peut-on lire sur le site des Sceptiques du Québec.

Comment en effet distinguer une thérapie dite « complémentaire » valide de celle offerte par un charlatan? Le Dr Guay s’intéresse par exemple beaucoup à l’autohypnose ; une science occulte qui reprend du galon grâce à certaines études (ici et ). Cet état modifié de conscience aurait quelques vertus relaxantes, selon la Société canadienne du cancer. « Les patients pourraient en faire dans leur salon comme ils pratiquent du yoga. Travailler sur le côté psychique d’une personne a un impact positif sur sa santé globale », ajoute même le médecin.

Il s’agira toujours de soins complémentaires qui ne sont pas là pour remplacer un traitement de chimiothérapie, insiste le Dr Guay.

Tout dépend de ce qu’on entre dans cette valise thérapeutique nommée « médecine intégrative ». Comme le rappelle Ariel Fenster de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill : « Si cela ne fonctionne pas, ce n’est pas de la médecine. Il faut que cela aille au-delà de l’effet placebo ». Alors que son université ouvre la porte aux soins alternatifs, tout comme l’Université de Toronto, il suggère aussi de s’interroger sur là où va l’argent. Depuis sa fondation, en 1999, le Centre américain de santé complémentaire et intégrative (NCCIH) aurait dépensé 1,6 milliard $ pour étudier les thérapies alternatives. Sans résultats probants.

« Cela ne me dérange pas d’être ouvert à différentes choses mais pas à n’importe quoi » tranche le professeur qui recommande la lecture du livre de Paul Offit, Do You Believe in Magic? The Sense and Nonsense of Alternative Medicine » (New York, Harper Collins). « Si on dépense des ressources là où cela ne fonctionne pas, cela devient un problème. On détourne alors des sommes qui seraient mieux utilisées ailleurs ».

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