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Peut-on utiliser la lumière rouge et les lasers à faible intensité pour traiter l’Alzheimer, cesser de fumer, combattre la COVID, voire améliorer ses performances sportives… et sexuelles ? Ça semble un peu trop beau pour être vrai, constatent le Détecteur de rumeurs et l’OSS.


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Faits à retenir
- La photobiomodulation est une théorie selon laquelle des lasers froids pourraient stimuler notre corps et guérir des tas de choses
- Le gros des recherches n’a été fait que sur des animaux ou sur des cellules
- Le fait que des molécules soient stimulées par la lumière n’implique pas qu’une guérison soit en cours

L’origine de la rumeur 

La photobiomodulation est une technique par laquelle la lumière est utilisée pour stimuler l’activité des cellules d’êtres vivants. Ses origines remontent à 1965: trois médecins de Boston ont alors publié les résultats d'une expérience, au cours de laquelle ils avaient utilisé des lasers pour traiter des tumeurs cancéreuses.

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Un médecin hongrois, Endre Mester, a tenté de reproduire leurs résultats, mais s’est heurté à un obstacle: ses propres lasers étaient moins puissants que ceux de ses collègues de Boston. Il en a conclu que c’était la raison pour laquelle les tumeurs de ses rats n’avaient pas été affectées. Toutefois, en observant la peau à proximité des tumeurs, il a remarqué qu’autant la croissance des poils que la guérison des blessures s’étaient accélérées.

DDR-OSS-LogoC’est à partir de là que des scientifiques comme Endre Mester se sont mis à envisager ce qu’on a d’abord appelé des thérapies par laser froid ou par laser de faible énergie. Le terme « faible énergie » était toutefois très vaguement défini: les lumières DEL (diode électroluminescente) pourraient avoir, en théorie, le même impact que les lasers froids, et c’est pourquoi on s’est mis à utiliser le terme photobiomodulation.

Il est indéniable que la lumière affecte le vivant. Notre cycle veille-sommeil est hautement dépendant de la lumière du Soleil et notre peau produit de la vitamine D lorsqu’elle est exposée à de la lumière UV. Sans oublier le cycle de vie des plantes. 

Mais le problème a commencé lorsque les promoteurs de la photobiomodulation se sont mis à multiplier les affirmations d’impacts thérapeutiques. On en voit qui approuvent de l’acupuncture au laser, alors que l’acupuncture est une pratique réfutée qui se base sur des points fictifs le long du corps afin de traiter toutes sortes de maladies. D’autres promoteurs s’opposent à la crème solaire qui, à leurs yeux, viendrait bloquer les rayons bienfaisants du soleil. De nombreux sites web vendent aujourd’hui des appareils de photobiomdulation à utiliser à la maison ou des thérapies, proclamant une prolongation de l’espérance de vie, un meilleur système immunitaire, et une atténuation des maladies dégénératives. Des articles scientifiques ont été publiés sur un potentiel pour la réhabilitation après un accident cardiaque, pour le traitement de la dépression, de la COVID ou de l'Alzheimer, et même pour une meilleure performance dans le sport... ou au lit.

Les études 

Tout dépendant de la personne à qui on parle, la photobiomodulation prend la forme de lasers portables, de casques remplis de lumières, de lits de bronzage futuristes, et même de pinces pour le nez qui éclairent la narine afin d’atteindre le cerveau. Plusieurs de ces gadgets utilisent des DEL plutôt que des lasers parce que l’agence américaine des aliments et drogues (FDA) considère que les DEL ont un seuil d’énergie en-dessous de celui qui constitue un risque médical. Les appareils aux DEL ne sont donc pas réglementés aussi sévèrement que ceux qui utilisent des lasers.

Mais parallèlement à tout cela, la littérature scientifique, elle, se limite dans la plupart des cas à des expériences sur des cellules ou sur des animaux. Les quelques études chez l’humain sont souvent des études sans groupe contrôle (un groupe qui n’a pas reçu le traitement, et qui sert de comparatif). De plus, ces essais cliniques sont menés sur de petits groupes de gens.

Or, des décennies de recherche en biologie et en médecine, quel que soit le médicament ou le traitement, l’avaient démontré depuis longtemps: seule une petite minorité des résultats « encourageants » sur des souris se transposent en des résultats encourageants —ou même sécuritaires— chez des humains.

Ce phénomène avait d’ailleurs été quantifié en 2014. Les auteurs avaient découvert que, sur dix médicaments assez prometteurs pour être testés chez l’humain, seulement un finissait par être approuvé.

Même au sein d’un article de synthèse très positif, en 2015, sur l’utilisation de la photobiomodulation pour la cicatrisation des plaies, on notait une mise en garde : « la plupart des études sur l’influence de l’irradiation au laser des plaies pour la cicatrisation ont été faites sur des souris, des rats et des modèles ex vivo » (c’est-à-dire des cellules ou tissus biologiques qui ont été retirés de l’animal afin de les utiliser pour des tests). « Peu d’entre elles ont été faites chez l’humain. » 

La photobiomodulation a ainsi été testée pour traiter l’AVC aigu dans une série de trois essais cliniques de plus en plus grands. La technique semblait bien fonctionner dans le plus petit d’entre eux, mais ses bienfaits étaient limités à un sous-groupe dans le deuxième et inexistants dans le troisième, au point où ce dernier essai a dû être arrêté prématurément.

Pourrait-il y avoir un mécanisme qui échappe aux études? 

Les articles scientifiques sur la photobiomodulation théorisent souvent sur la façon dont cette lumière guérisseuse pourrait fonctionner chez les êtres vivants. On se base notamment sur la recherche de la Dre Tiina Karu et de son équipe, selon qui cette lumière offre ses bienfaits à travers la mitochondrie. Toutes nos cellules (et celles des animaux, des plantes et des champignons) contiennent des petites structures appelées mitochondries qui génèrent l’énergie dont un être vivant a besoin. Ces mitochondries ont une série de protéines qui s’échangent des électrons, et une de celles-ci, le cytochrome c oxydase, contient de l’hème et du cuivre qui absorbent la lumière, tout spécialement dans le rouge et l'infrarouge du spectre lumineux.

Donc, on éclaire le tissu biologique avec cette lumière; celle-ci est absorbée par le cytochrome c oxydase de nos mitochondries; et ce que nous obtiendrions, selon cette théorie, serait un véritable effet domino biologique dans l’ensemble de l’organisme. Le cerveau obtiendrait plus de sang, nos cellules, plus d’énergie, et nos gènes et cellules souches se feraient activer de gauche à droite. Une réaction en chaîne.

Sauf que le problème avec cette théorie, c’est que la biologie a une liste tellement longue d’acteurs au niveau moléculaire, qu’il est très facile pour un scientifique de connecter A et B. Notre corps contient environ 70 000 protéines uniques, encore plus si on compte les modifications qui surviennent après leur création. Joindre deux événements par une série de molécules qui interagissent est très simple, même encouragé dans les articles scientifiques. Ça ne veut pas dire que le mécanisme supposé est réel.

Même si, dans le cas de la photobiomodulation, il était vrai que certaines longueurs d’onde activaient une protéine dans nos mitochondries et que le tout avait un effet domino sur d’autres molécules, ça ne voudrait pas dire qu’en bout de ligne, on observerait une amélioration de la santé. Notre corps est rempli de barrières et de redondances afin de maintenir son équilibre. Le fait que des molécules soient stimulées par la lumière n’implique pas qu’une guérison soit en cours.

La photobiomodulation, écrivait en 2021 l’auteur canadien Paul Ingraham dans son site sur la science de la douleur (Pain Science) « est un exemple classique d’engouement prématuré pour une thérapie haute technologie sans preuve véritable : la pratique clinique s’emballe et dépasse la science, qui n’existe qu’à peine. Les espoirs sont épinglés sur un vague sentiment de plausibilité biologique. Et la recherche est remplie de « masturbation mécanistique » —une spéculation fantasque sur la manière dont la technique devrait fonctionner, au lieu de focaliser sur la question de si ça fonctionne, oui ou non. »

 

Ce texte est une adaptation du texte en anglais de Jonathan Jarry publié sur le site de l’Organisation pour la science et la technologie de l’Université McGill. On peut trouver la version originale ici

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