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Un shampooing, un déodorant, un rasoir, des crayons à mine ou une coupe de cheveux : lorsque ces produits visent les femmes, ils se vendent souvent plus cher que leur équivalent masculin. Ce n’est pas juste une impression : des études confirment — mais avec des bémols — l’existence d’une taxe rose. Un fait jugé suffisamment discriminatoire pour qu’un recours collectif vienne d’être déposé au Québec.


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La taxe et la loi

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La demande de recours collectif déposée contre plusieurs grandes chaînes de distribution, et plus spécifiquement contre Unilever Canada, a en effet remis au premier plan cette « taxe » qui consiste en une hausse de prix pour de nombreux biens de consommation destinés aux femmes, plutôt qu’une véritable taxe imposée par le gouvernement.

« Ce n’est nulle part mentionné sur le produit qu’il y a une taxe ajoutée et le gouvernement n’a jamais légiféré en ce sens. La perception provient plus d’une différence constatée de prix » au détriment du produit féminin, nuance le titulaire de la Chaire CLÉ en consommation et développement durables du département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, Bernard Korai.

Le recours collectif québécois s’appuie en effet sur le constat d’une « discrimination basée sur le sexe », pour des produits identiques — ou presque — vendus plus cher lorsqu’ils sont destinés aux femmes. Le maire de Montréal, tout comme Projet Montréal, se sont prononcés pour une interdiction de cette pratique.

Légiférer sur la « taxe rose », une exception ? Aux États-Unis, même si aucune loi fédérale ne protège la consommatrice, la Californie est devenue dès 1995 le premier état à bannir les différences de prix basées sur le genre. La ville de New York a adopté une loi similaire en 1998, obligeant les commerces à s’expliquer — avec contraventions à la clé.

Plus récemment, la députée américaine Jackie Speier a proposé en 2015 une loi contre cette taxe rose (Pink Tax Repeal Act). Au Canada, aucune loi en ce sens, mais un mouvement populaire s’est levé ces dernières années pour abolir la taxe sur les produits d’hygiène féminine.

La taxe rose, ça existe ?

En marge de son règlement, la ville de New York a réalisé en 2015 une étude par le biais de son bureau de la consommation. Celle-ci s’est penchée sur près de 800 produits de consommation courante de 90 marques.

Les résultats démontrent que dans 42 % des cas, les femmes payaient certains de ces produits plus cher – contre seulement 18 % des cas pour les hommes. Pour 40 % des produits, le prix était identique. Les consommatrices payeraient, pour des produits similaires, environ  7% de plus — et jusqu’à 13 % pour les produits de soins personnels.

Une étude de l’Université de la Floride Centrale abondait  en 2011 dans le même sens : il existe des disparités liées aux genres et les femmes paient plus pour leurs produits et leurs services de soins personnels, tels les déodorants, les coupes de cheveux et le nettoyage à sec.

Même si les experts ne s’entendent pas sur l’appellation à lui donner, le constat est unanime. « Entre les produits pour hommes et femmes, cela peut aller du simple au double en matière de prix. Même la marque maison chez Walmart, affiche un écart que l’on peut démontrer mathématiquement. Il s’agit d’un marketing genré qui maintient cette disparité », avance William Menvielle, professeur de marketing à l’École de gestion de l’Université de Trois-Rivières.

Des bémols

En France, une étude initiée par l’action du Collectif Georgette Sand, démontrait une certaine disparité des prix entre des produits et des services similaires destinés aux femmes et aux hommes « rendue possible par l’hypersegmentation du marché ». Les produits destinés aux femmes ou aux hommes, mais aussi aux filles ou aux garçons, se retrouvent dans des allées différentes, situées parfois loin l’une de l’autre, rendant difficile la comparaison des prix. Une pétition dénonçant le phénomène a recueilli près de 48 000 signatures en 2015.

Pourtant, la conclusion de l’étude n’établit pas de « phénomène global et avéré de discrimination ayant un impact significatif sur le pouvoir d’achat. En effet, on constate que les disparités entre sexes peuvent être alternativement défavorables aux hommes ou aux femmes selon les produits ».

C’est aussi ce que relève M. Menvielle. Il existe des études moins tranchées sur l’écart de prix des produits et des services pour hommes et pour femmes,  comme celle sur l’offre de services de déménagement, de serrurerie et de dépannage automobile, qui démontre que les femmes peuvent payer moins cher pour un même service — pour 37 % des cas des dépannages automobiles.

« Il est impossible de déduire une règle générale de surcoût aux dépens de l’un des sexes – et donc conclure à du sexisme, soutient même l’expert en marketing. En matière de services par exemple, le prix dépend parfois de « la tête du client ».

Considérations de marketing

Parmi les produits et services offerts, certains seraient tout de même plus susceptibles d’être vendus aux femmes à plus fort prix « Les femmes consomment plus de produits de soins et de beauté. L’image projetée de la femme soucieuse de son apparence favorise cette disparité. La publicité, qui s’appuie sur des célébrités et qui est très coûteuse, expliquerait partiellement le coût à payer du produit », relève M. Menvielle.

Certains ingrédients spécifiques au produit pourraient encore justifier un prix plus élevé. « Nettoyer un chemisier de soie plutôt qu’une chemise de coton ou ajouter de l’aloès à la mousse pour raser pourrait constituer un prétexte pour hausser le prix », explique de son côté M. Korai.

Les femmes seraient aussi perçues plus difficiles à satisfaire et les compagnies sont prêtes à investir davantage pour distinguer leurs produits, incluant des sommes considérables dans une stratégie de communication. Elles tablent également sur l’insécurité des très jeunes filles et des femmes de plus de 40 ans, qui seraient plus à même de se laisser séduire par un produit de beauté considéré comme supérieur et donc plus cher. Ce prix psychologique pèserait plus lourd dans la balance que les recherches en développement de produit ou que le soin à investir dans la fabrication.

Ainsi, les femmes seraient prêtes à investir plus d’argent et de temps pour dénicher le produit qui répond à leurs critères. « Les compagnies le savent et vont prendre en compte la psychologie féminine, jouer sur l’imaginaire et le rêve de beauté que poursuivent les femmes », constate M. Korai.

Segmentations du marché

Depuis quelques années, on assiste à une grande segmentation du marché selon le genre et l’âge : fille, garçon, adolescente, adolescent, etc. La compagnie ciblera cette clientèle différemment afin de tenter de satisfaire des besoins souvent « créés de toutes pièces par le marketing ». 

Si l’on s’attardait seulement au prix, la variation devrait en toute logique dépendre uniquement de l’offre et la demande — par exemple, les vacances à Cuba coûtent plus cher l’hiver quand le manque de chaleur se fait cruellement sentir. « Il existe en effet une discrimination de prix selon le comportement d’achat du consommateur, selon la saison, la journée de la semaine et même l’heure — comme le « spécial du midi » pour les tables d’hôte. Et le bon marketing devrait s’arrêter là », soutient M. Menvielle.

Les industriels et les détaillants gagneraient à être plus transparents sur les autres raisons qui motivent leur prix, signale à son tour le Pr Korai : « Cela les positionnerait comme des marques de confiance alors que l’on observe une montée des préoccupations face aux disparités de prix entre des produits assez similaires». S’expliquer ou changer les prix pour combattre la discrimination semble être d’ailleurs de bonnes avenues pour mieux plaire aux consommatrices et aux consommateurs.

Verdict

Entre deux produits ou services similaires, celui destiné aux femmes peut effectivement coûter plus cher. Aucune raison liée à son coût de fabrication ne peut l’expliquer — ingrédients similaires, même durée, etc.— seul le marketing destiné aux femmes semble être en cause, de même que la segmentation du marché.

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