Attentats: la science va écoper
(ASP) - Au cours de la dernière
décennie, des liens étroits entre un nombre
grandissant de centres de recherche occidentaux et arabes
ont permis à ces derniers de convaincre un nombre
tout aussi grandissant de chefs politiques de l'importance
d'investir en science. Mais la guerre d'Afghanistan
et les tensions inquiétantes dans plusieurs pays
musulmans viennent de mettre ces efforts sur la glace,
et nul ne peut dire pour combien de temps.
Dans un reportage paru dans sa dernière
édition, la
revue Science souligne par exemple l'existence
de Farouk El-Baz, celui qui, il y a plus de 30 ans,
a dirigé l'équipe chargée de déterminer
les lieux où les missions Apollo se poseraient,
sur la Lune. Aujourd'hui autorité mondiale en
cartographie, ce professeur de l'Université de
Boston d'origine égyptienne était un expert
tout désigné pour un programme visant
à cartographier les eaux souterraines d'Arabie
Saoudite. Après le 11 septembre, son voyage dans
les Emirats arabes unis a été reporté
à une date indéterminée. Les gens,
dit-il laconiquement, "ne se sentent pas à l'aise"
à l'idée de voyager là-bas.
Tout comme pourrait se retrouver sur la
glace pour longtemps un projet qui commençait
à prendre forme, un genre de Plan Marshall de
la science, pour stimuler la création de centres
de recherche, d'entreprises de haute technologie, la
venue de chercheurs de pointe, dans l'ensemble du monde
musulman. "L'écart est beaucoup trop grand entre
les bien nantis et les pauvres, et la science serait
un merveilleux véhicule pour aider à diminuer
cet écart", selon un autre Américain d'origine
égyptienne, le chimiste Ahmed Zewail, directeur
du Laboratoire de sciences moléculaires à
l'Institut de technologie de Californie -et le premier
scientifique d'origine arabe à avoir remporté
un prix Nobel en science, en 1999.
Certes, les amateurs d'Histoire se rappelleront
qu'il y a un millier d'années, le monde musulman
était à l'avant-garde de la science: astronomie,
physique théorique, géographie, mathématiques
-on leur doit l'algèbre- rien n'échappait
aux érudits de cette civilisation, de l'Espagne
jusqu'aux confins de l'Inde. Mais au fil des siècles,
cet univers a perdu bien du terrain. "Nous avons hérité
d'un Age obscur en refusant de nouvelles façons
de penser et de nouvelles théories", déclare
dans Science Abdulkarim Al-Eryani, microbiologiste
formé à l'Université Yale, et aujourd'hui
conseiller politique du président du Yemen. Dans
certains pays musulmans, poursuit-il, "la science est
devenue l'esclave de la religion"; entre autres conséquences
la théorie de l'évolution n'est souvent
mentionnée nulle part dans les manuels scolaires
-quoique ce soit là une conséquence qui
n'apparaîtra pas si étrange dans certaines
régions des Etats-Unis.
Pourtant, la dernière décennie
a vu une résurgence de la science dans l'univers
musulman. Selon l'UNESCO (Organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la culture),
les dépenses en recherche et développement
dans les "pays arabes" auraient été de
780 millions$ en 1996, en croissance de 43% par rapport
à 1992. Quatre de ces pays -Egypte, Koweit, Maroc
et Arabie Saoudite- contribuaient à eux seuls
pour 72% de ces dépenses. L'Iran, qui n'est pas
classé comme "pays arabe" par l'UNESCO, aurait
par ailleurs dépensé à lui seul
350 millions$ l'an dernier en recherche et enseignement
universitaire.
Qui plus est, le prix Nobel remis à
Ahmed Zewail en 1999 fut de nature à inciter
les gouvernements à investir.
Ces élans seront-ils brisés
par les événements du 11 septembre? Les
fondamentalistes le souhaiteraient sûrement. Car
ainsi, ils auraient gagné, dans ce domaine aussi.
Voyez notre page spéciale
Après le 11 septembre