Breveter le vivant, pourquoi faire?
BOSTON (ASP) - Quatre chercheurs, et pas
un seul qui est parvenu à trouver un avantage
aux brevets du vivant. Y aurait-il quelque chose de
pourri au royaume de la recherche?
Daucuns diront quavec un symposium
intitulé Les brevets, la science et lintérêt
public, cétait couru davance:
les organisateurs du congrès
de lAssociation américaine pour lavancement
des sciences savaient parfaitement, en choisissant ce
titre, que le système des brevets na jamais
été mis sur pied pour protéger
lintérêt du public, mais plutôt
pour protéger les énormes investissements
des compagnies privées. Sauf que le premier des
conférenciers, Joshua Lesner, de lÉcole
déconomie de lUniversité Harvard,
semblait vraiment sêtre donné pour
ambition de donner sa chance à ce système:
passons en revue ses 150 ans dhistoire, sest-il
dit, et on verra bien dans quel sens il a évolué.
Et déjà, sa conclusion nest
pas à lavantage du système: "les
gains sont réduits dans les pays en voie de développement ;
et encore plus modestes aux États-Unis".
Lun dans lautre, rien qui ne justifie que
le gouvernement américain mette à ce point
lépaule à la roue pour défendre
le système. "Les prétentions que
le (système des brevets) va mousser la productivité
américaine restent à démontrer."
Même après 150 ans.
On peut alors deviner que lorsquon
en arrive aux brevets sur le vivant, dont lhistoire
est pas mal plus courte, les gains, si gains il y a,
soient encore plus mitigés. Des études
récentes ont révélé par
exemple quun quart des chercheurs ont dit avoir
été empêchés de faire un
test de dépistage de telle ou telle maladie,
parce que des brevets avaient été déposés
sur les gènes correspondants. Près de
la moitié nont pu développer ou
valider un nouveau type de test, à cause dun
gène breveté. Bref, une découverte
est là, à la portée de la main,
qui pourrait améliorer les soins médicaux,
ou la santé publique, mais on ne peut sen
servir, bloquée quelle est dans le processus
tortueux de la commercialisation.
Certes, insiste lourdement Jon Merz, de
lUniversité de Pennsylvanie, on ne peut
en aucun cas affirmer que cela a eu un impact durable
sur la recherche scientifique. Mais les faits ne parlent
pas en faveur du système de brevets...
Ce nest pas tout. Lavocat
Robert Weissman est revenu de quelques années
en arrière, jusqu'à la loi américaine
Bayh-Dole, qui avait jadis représenté
une mini-révolution, puisqu'elle autorisait pour
la première fois les universités à
commercialiser les innovations réalisées
chez elles, y compris celles qui réalisées
grâce à des subventions gouvernementales
-c'est-à-dire, dans les faits, la grande majorité
des innovations.
Or, cette loi, qui constitue aujourd'hui
une des assises du système de brevets sur le
vivant, n'avait été adoptée qu'après
un débat de cinq ans. La question était
-et demeure toujours- hautement controversée:
pour les défenseurs de cette loi, elle représentait
la seule façon de contrer "l'invasion" japonaise
dans l'économie. Pour les autres, si le gouvernement
a subventionné une recherche scientifique, alors
celle-ci demeure propriété du public.
Le débat n'est toujours pas réglé,
mais la loi Bayh-Dole a eu des effets pervers, souligne
Weissman: une innovation commercialisée devient
du même coup trop coûteuse pour les pays
en développement; et de nombreux scientifiques,
juste pour se sentir en sécurité, se mettent
à "sur-breveter" -autrement dit, ils déposent
des brevets sur à peu près n'importe quoi
ayant une vague possibilité de réussite,
y compris sur un maximum de gènes et de protéines
humaines et animales.
A ses yeux, certains secteurs de la recherche
devraient être carrément écartés
du système des brevets; il faudrait poser des
limites au dépôt de brevets ultérieurs
(par exemple, une personne déposant un brevet
sur la protéine A ne devrait pas nécessairement
être autorisée à en déposer
ensuite sur toutes les protéines liées
à celle-ci); les compagnies devraient avoir l'obligation
de réinvestir une partie de leurs profits tirés
d'un brevet sur le vivant.
Toutes des belles propositions sur papier,
mais qui, en dépit d'un consensus étonnamment
large dans la communauté scientifique, risquent
d'entraîner d'autres très longs débats