La légende circulait depuis 1967;
une expérience tout ce qu'il y a de scientifique,
menée
par courrier électronique, a permis de la confirmer.
Qui que vous soyez, où que vous viviez, il n'y
a, en moyenne, que "six degrés de différence",
autrement dit six individus seulement, entre vous-même
et n'importe quel autre individu, qu'il vive à
la Maison-Blanche, en Chine ou à Madagascar.
Un réseau social très étendu,
pourrait-on croire. Eh bien pas du tout, puisque l'expérience
confirme du même coup ce qu'on a tous constaté
dans la vie quotidienne: la grande majorité des
gens profitent peu de cette "connection" avec le reste
de l'humanité. Quelques-uns savent mieux tirer
les ficelles que les autres...
C'est à Stanley Milgram, de l'Université
Harvard, qu'on doit l'élaboration de ce concept
des six degrés de séparation, en 1967.
Il avait choisi au hasard des habitants d'Omaha, Nebraska,
et leur avait demandé d'expédier des colis
à un habitant de Boston identifié par
son seul nom et son métier (courtier); jamais
son adresse. Les "expéditeurs" devaient envoyer
le colis à une personne qu'ils connaissaient,
et qui leur paraissait être la plus susceptible
de faire progresser le colis vers Boston. Il avait fallu,
chaque fois, entre six et sept étapes au colis
pour atteindre sa destination.
L'intérêt pour ce concept
de réseau mondial est réapparu avec la
croissance d'Internet: en 1998, Duncan Watts, de l'Université
Columbia à New York et Steven Strogatz, de l'Université
Cornell à Ithaca (New York) ont pondu un modèle
susceptible de démontrer mathématiquement
l'existence du concept. Quelque 61 000 personnes éparpillées
dans 166 pays ont été contactées
afin de reproduire l'expérience de Milgram, mais
cette fois par courrier électronique. Les cibles
étaient nombreuses et variées, d'un inspecteur
des archives en Estonie jusqu'à un club sportif
universitaire américain.
En fait, sur 24 000 cibles, seulement
384 ont été atteintes, et c'est là,
bien plus que dans la démonstration des six degrés
de séparation, que les chercheurs trouvent
leur intérêt, puisque cela illustre
l'infinie variété dans la solidité
de ces "connections".
Il y a d'abord la motivation: ai-je intérêt
à faire jouer mon réseau social pour que
ce courriel se rende jusqu'à un inconnu? Mais
il y a aussi la perception: beaucoup de gens ne se rendent
pas compte du poids qu'ont leurs connaissances; ils
sous-estiment leur propre importance dans la société;
bref, ce qui est en cause, ce sont leurs "perceptions
des structures sociales", écrivent les chercheurs
dans la dernière édition de la revue Science.
Autrement dit, c'est la psychologie qui
prend le pas sur un modèle jusque-là bêtement
mathématique. Cette recherche, commente pour
Nature le sociologue Mark Gravovetter, de l'Université
Stanford (Californie), démontre qu'il nous faut
encore "beaucoup plus d'informations sur ce que les
gens connaissent de leur réseau et sur la façon
dont ils utilisent cette connaissance pendant leurs
recherches" et la façon dont ils utilisent
cette connaissance vaut aussi bien pour cette recherche-courriel
que pour une recherche d'emploi... ou une recherche
de l'âme soeur.